Leurs travaux se sont croisés pour la première fois lors d’un événement organisé à l’occasion d’une précédente journée mondiale contre la peine de mort (qui a lieu tous les 10 octobre), lors de laquelle Mido a illustré, depuis l’autre bout du monde et avec un trait qui lui est propre, les portraits de la série de Christophe, « Des visages et des peines ». Alors que l’exposition s’apprête à être exposée sur les grilles de l’Hôtel de ville de Paris du 8 au 31 octobre prochains, ils se sont confiés à ECPM à propos de leurs démarches artistiques et militantes.
Comment vous êtes-vous intéressé au sujet de l’abolition universelle de la peine de mort ?
Christophe Meireis : J’ai toujours été intéressé par les droits de l’Homme, d’ailleurs je travaille aussi régulièrement avec Amnesty. J’ai d’abord réalisé des portraits de l’équipe d’ECPM, qui en avait besoin pour la communication. Ensuite, j’ai fait le reportage photo pour le congrès d’Oslo, et de rencontres en rencontres, l’idée m’est venue de faire le portrait d’ancien.ne.s condamné.e.s.
Mido : En 2019, l’Alliance Tawaïnaise pour l’Abolition de la Peine de mort (TAEDP) m’avait invitée à prendre part au projet Facing the Death Penalty. Nous exposions des photographies dans des cafés, c’est comme ça que j’ai eu l’idée de peindre le visage de personnes concernées par la peine de mort, ainsi que leurs confessions, sur une série de dessous de verres. Récemment, j’ai participé à une campagne pour mettre hors de cause CHIOU Ho-shun, condamné à mort à Taïwan. Il est très important pour moi de porter la voix des opprimé.e.s et de celles et ceux que l’on réduit au silence grâce à mes illustrations ; c’est un honneur de travailler avec les partenaires de la JRF.
Qu’est-ce qui vous a particulièrement marqué dans ce sujet, quelque chose auquel vous ne vous attendiez pas ?
Christophe Meireis : quand on ne s’intéresse pas au sujet, on pense qu’un.e condamné.e à mort a forcément commis des crimes graves, horrifiants, alors que souvent les gens sont condamnés pour des raisons politiques, pour homosexualité, pour le simple fait de s’opposer au régime en place. La peine de mort est une arme utilisée par beaucoup d’États.
Mido : J’ai moi-même rencontré certain.e.s condamné.e.s à mort, et j’ai compris que leur tristesse passée ne fait aucune différence avec nous. Je suis, vous êtes eux. Comme nous, ils et elles ont leurs inquiétudes quotidiennes, sont traversés par divers sentiments. Leur vie n’est pas si différente de la nôtre.
Christophe, comment est née l’idée de la série Les visages de l’abolition ? Qu’avez-vous souhaité montrer au grand public à travers ces portraits ?
Christophe Meireis : À Oslo, lors du Congrès mondial contre la peine de mort, où j’ai eu l’occasion de faire le portrait de Peter Pringle et Sunny Jacobs. Puis j’en ai rencontré plusieurs, nous avons parfois déjeuné ensemble et je me suis imprégné de leurs histoires. En tant que photographe portraitiste, toutes les conditions étaient réunies pour donner du sens à ces portraits. Quand tu découvres toutes ces injustices, toutes ces condamnations incompréhensibles, ça te touche et tu as envie que tout le monde le sache. J’accompagne toujours cette série d’une citation forte à côté, pour interpeller le public par l’histoire de chaque sujet. Je voulais que les gens aient accès à cette information, de la même manière que je l’ai reçue à un moment donné.
Dans cette série, on sent une certaine émotion dans les regards de vos sujets, comment s’est passée la rencontre avec eux ?
Christophe Meireis : Mon travail de portraitiste, ce n’est pas seulement de faire une belle photo, mais aussi d’obtenir de la personne ce que j’ai envie : pour cela, il faut prendre le temps de faire connaissance, et parfois, lors des prises de vue, tout se joue sur un détail très subtil : une inclinaison de visage, un regard…Parfois, sur quarante prises de vues, une seule sera intéressante. Certains sujets sont plus à l’aise que d’autres, alors lorsque c’est plus difficile, je leur propose de penser très fort à leur citation, de s’immerger dans leur histoire, de se replonger dans le sujet pour lequel je les photographie. Enfin, il y a une part de chance : certain.e.s sont très expressif.ve.s et donnent ce dont tu as besoin sans que tu aies à lutter pour. C’est toute la magie du portrait.
© Mido © Christophe Meireis © Christophe Meireis © Mido © Mido © Christophe Meireis © Christophe Meireis © MidoPouvez-vous nous expliquer votre démarche créative : choix du fond noir, gestion de la lumière, position des sujets…
Christophe Meireis : Au départ, je voulais jouer avec l’environnement dans lequel on se trouvait, chez eux, dans leurs pays… mais finalement ça n’a pas été possible : souvent, on était sur des congrès, dans des salles qui avaient peu de charme. J’avais aussi peur qu’en jouant avec le décor – ce que je fais beaucoup en presse magazine – l’œil soit trop attiré par la mise en scène, les objets sur la photo, et que l’on se détache du modèle. En concentrant la lumière sur le visage, en ayant un fond noir, on pouvait créer une série uniforme et cohérente et enlever tous les éléments qui nos éloignent du sujet pour se concentrer uniquement sur leur regard. Il se passe quelque chose dans leurs yeux, on se retrouve face à eux. À chaque fois que je les rencontre, je suis face à eux, ils me racontent leur histoire et une certaine sympathie se créé. Je souhaite que le spectateur ressente par procuration ce que j’ai vécu en les rencontrant : être seul face à eux, sans fioritures.
Mido, qu’est-ce qui vous a donné envie d’illustrer les portraits réalisés par Christophe Meireis ?
Les portraits de Christophe Meireis m’ont fait réfléchir aux rencontres que chacune de ces personnes avaient pu faire dans leurs vies, aux expériences qu’ils et elles avaient vécu. Je ne voulais pas que le grand public s’en souvienne avec tristesse. Pour mieux connaître une personne, j’aime observer les couleurs qu’elle porte. Pour mes illustrations, j’ai donc pris en considération les couleurs que ces personnes avaient choisi lors des prises de vue. J’espère que ces couleurs gaies et accrocheuses attireront l’attention du public et suscitera son intérêt.
Christophe, que pensez-vous du travail de Mido, l’artiste Taïwanaise qui a illustré vos portraits ? Avez-vous eu l’occasion d’échanger ?
Christophe Meireis : Non, malheureusement je n’ai pas eu l’occasion de la rencontrer, mais ses illustrations sont très réussies. Son trait de crayon a un côté un peu naïf, presque enfantin par moments, qui correspond à la culture taïwanaise. Lorsque l’on se promène dans Taïwan, dans le métro par exemple, souvent on aperçoit des petits personnages comme dans une BD et on retrouve cet esprit dans ses dessins. Elle nous propose une vision différente qui est réellement imprégnée de sa culture.
Votre exposition sera de retour à Paris, sur les grilles de l’Hôtel de Ville, et aux Transphotographiques de Lille pour les 40 ans de l’abolition de la peine de mort en France, quelle réaction attendez-vous de la part du public ?
Christophe Meireis : J’ai envie que l’exposition serve d’outil pédagogique, que le public se rende compte que les condamné.e.s à mort sont comme tout le monde, et que demain, ça peut être nous. Il suffit parfois d’être au mauvais endroit au mauvais moment. En 2021, il y a encore des gens qui disent « Non, je ne suis pas pour la peine de mort MAIS… », d’autant plus avec le retour du populisme, et ce n’est pas acceptable.
Pour terminer, souhaitez-vous nous partager une anecdote sur votre travail, ou nous transmettre un message important pour vous ?
Christophe Meireis
Christophe Meireis : J’aimerais insister sur une chose, qui m’a grandement marqué : dans 100% des cas, je n’ai jamais vu de haine dans les yeux ou dans les propos de ces grandes figures de l’abolition. Jamais ils ou elles n’ont d’envie de vengeance après les institutions qui les ont condamnés. Si ils ou elles sont capables de pardonner, alors nous aussi.
MidoMido : J’aimerais vous présenter CHIOU Ho-shun, que j’ai mentionné au début de l’interview. C’est un homme condamné à mort qui a passé 33 ans derrière les barreaux, c’est-à-dire plus de la moitié de sa vie, pour un crime qu’il n’a pas commis. Sa sentence est majoritairement basée sur des aveux arrachés sous la torture. Sa santé se détériore, la menace de la mort pèse sur ses journées car l’exécution peut avoir lieu à tout moment. En tant que conservatrice de musée, j’ai organisé une exposition pour lui avec mon équipe, « Haiwang Tianguan 海旺天光 »,en 2020. On ne cherche pas seulement à attirer l’attention sur cette affaire, on souhaite que plus de personnes se rassemblent autour de son histoire et le soutiennent. L’exposition a eu lieu dans trois villes de Taïwan, dont la sienne, et est encore exposée. Pour en savoir plus sur l’histoire de CHIOU Ho-shun, vous pouvez regarder cette vidéo et signer une pétition pour lui.