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Qui sont les lauréat·es du 8e Congrès mondial contre la peine de mort ?

Le 8e Congrès mondial contre la peine de mort fut aussi l’occasion de donner un coup de projecteur sur les acteurs de la société civile œuvrant en faveur de l’abolition universelle. ECPM, la Coalition mondiale contre la peine de mort et leurs partenaires ont souligné le travail exceptionnel d’organisations particulièrement investies dans les différentes sphères du combat abolitionniste tel que : la défense, le plaidoyer, la recherche, et l’innovation ainsi que le Grand Prix Robert-Badinter décerné par un vote des participant·es au Congrès à l’avocate iranienne Nasrin Sotoudeh.

Prix de la défense : RACOPEM (Cameroun) et Justice Project Pakistan

Réseau d’avocats camerounais contre la peine de mort (RACOPEM)

RACOPEM est un réseau regroupant les avocats camerounais luttant contre la peine de mort, fondé en 2015 sous l’impulsion de Nestor Toko. Les membres du réseau plaident contre la peine capitale dans des affaires difficiles et controversées, notamment pour défendre des clients accusés dans le cadre de la loi antiterrorisme adoptée en 2014 en réponse aux attaques de Boko Haram. Les avocats du RACOPEM parviennent à sauver plusieurs personnes du couloir de la mort, dont des mineures accusées d’espionnage ou d’insurrection.

Défendre ce type de client peut s’avérer dangereux pour les avocats camerounais, qui doivent supporter les pressions directes des forces de sécurité visant à faire obstacle à leurs enquêtes. Dans un pays sujet à la répression d’État, les membres du RACOPEM n’hésitent pas à questionner la législation en place, en dénonçant ouvertement la peine de mort comme une violation des droits humains. Leurs réunions publiques, jugées trop subversives par les autorités, ont tout d’abord été interdites, mais les progrès du réseau ont ensuite été fulgurants. Le thème, d’abord tabou, devient objet de débat public et des décideurs politiques et juridiques participent désormais aux activités du RACOPEM.

L’activité juridique des avocats du réseau a contribué à la réduction drastique du nombre de peines capitales prononcées au Cameroun au cours des dernières années (de plus de 160 en 2016 à aucune en 2017). Grâce à leur capacité à évoluer dans un environnement initialement hostile à leurs activités, les membres du RACOPEM ont un impact crucial dans l’opposition à la peine de mort au Cameroun.

Justice Project Pakistan (JPP)

JPP est une ONG pakistanaise d’action juridique créée en 2009, qui assure la représentation des condamnés à mort les plus vulnérables. Afin de lutter contre la peine de mort, JPP a établi une stratégie claire : assurer la représentation des personnes passibles de la peine de mort et obtenir des décisions faisant jurisprudence, permettant d’engendrer des réformes de grande ampleur au sein du système de justice pénale pakistanais.

Cette approche s’est révélée particulièrement efficace sur la période récente et les avocats de JPP ont obtenu des avancées du système judiciaire sur plusieurs fronts. En 2020, la peine de Muhammad Iqbal, mineur au moment de son crime, a été commuée en emprisonnement à perpétuité par une décision historique, suivie d’un jugement similaire en 2021. Ces deux issues ont depuis largement modifié la pratique judiciaire concernant l’application de la peine de mort aux mineurs. En 2021, JPP parvient à obtenir une décision similaire dans une affaire concernant deux condamnés sujets à des troubles mentaux, incapables de comprendre la raison de leur exécution. Un jugement qui fait désormais office de référence pour les avocats pakistanais, ainsi qu’à l’international. JPP s’engage également dans la défense des prisonniers pakistanais à l’étranger, en négociant avec des pays tels que le Sri Lanka et l’Arabie saoudite, ses membres sont parvenus à obtenir le rapatriement de centaines de détenus. Les activités de JPP ont joué un rôle central dans l’inversion de la courbe du nombre d’exécutions dans le pays, aucune depuis décembre 2019, alors même que le Pakistan est l’un des pays rétentionnistes les plus actifs de ces dernières années. JPP a réussi à devenir un acteur incontournable du combat contre la peine de mort et démontré que la défense juridique pouvait devenir un puissant levier de changement.

Prix de la recherche : Project 39A (Inde)

Project 39A est un programme de justice pénale créé au sein de l’Université nationale de Droit de Delhi. L’organisation tire son nom de l’article 39-A de la Constitution indienne, qui oblige l’État à s’assurer que le système juridique promeuve la justice et qu’aucun citoyen ne soit empêché d’accéder à la justice par des barrières sociales ou économiques. Au travers de recherches empiriques sur le système de justice pénale, Project 39A veut alimenter le débat et la réflexion sur des sujets tels que la torture, la santé mentale des prisonniers ou la peine de mort. Pour ses membres, une approche fondée sur la connaissance comporte plusieurs avantages par rapport à une démarche purement prescriptive ; grâce à leurs enquêtes, ils cherchent à fournir des éléments empiriques permettant de préparer le terrain pour l’évolution de la législation indienne.

En 2016, les membres de Project 39A publient le Death Penalty India Report, la première vue d’ensemble sur la population du couloir de la mort indien, une étude ensuite renouvelée chaque année. Après cinq ans de recherche, Deathworthy : A Mental Health Perspective of the Death Penalty voit le jour et devient la première enquête mettant en lumière les enjeux critiques liés à la santé mentale. Cette publication influence directement une décision de la Cour suprême, qui reconnaît la nécessité de procéder à l’analyse psychiatrique des prisonniers. Une autre publication de Project 39A conduit ensuite à une décision rendant obligatoire la présentation de tous les éléments pouvant constituer des preuves de circonstances atténuantes dans le cadre d’affaires de peine capitale.

En dépit d’une absence de soutien de la part du gouvernement ou de l’opinion publique, Project 39A parvient à agir comme un moteur de réforme du système judiciaire, un rôle particulièrement important puisque l’Inde tend à faire office de référence pour les autres pays rétentionnistes de la région. Les progrès effectués sous l’impulsion de leur travail pourraient donc s’avérer encore plus importants que les pas de géant déjà effectués en direction d’un encadrement plus strict de la peine de mort en Inde.

Prix du plaidoyer : ACAT-RCA

L’Association des chrétiens pour l’abolition de la torture, créée en 1991, est l’un des vingt-huit membres affiliés au réseau ACAT, rassemblés au sein de la FIACAT (Fédération internationale des ACAT). Ses principaux objectifs sont l’abolition de la peine de mort, la prévention de la torture et des traitements dégradants, ainsi que le respect des droits humains en détention des détenus.

En tant qu’acteur central de la lutte pour l’abolition au sein de la société civile centrafricaine, l’ACAT-RCA a mené une activité de plaidoyer intense, en collaboration avec ECPM et la FIACAT, qui a abouti à l’adoption par l’Assemblée nationale d’une loi abolissant la peine de mort, le 27 mai 2022.

Tout au long du processus, l’ACAT-RCA a cherché à impliquer le plus d’acteurs possibles, notamment à l’occasion de tables rondes réunissant différents leaders d’opinion, issus de l’Église comme des universités, ou lors de sessions de travail au long cours auprès des parlementaires.

La démarche portée par l’ACAT-RCA démontre l’importance de la coopération dans le combat abolitionniste. En faisant l’effort de fédérer de nombreux acteurs autour de l’opposition à la peine de mort, l’ACAT-RCA a permis de faire de l’abolition une revendication politique à l’échelle de la République centrafricaine, finalement entendue par les pouvoirs publics.

À travers ce prix, il s’agit de rendre hommage à la contribution majeure de l’ACAT-RCA dans le processus ayant conduit à cet accomplissement historique. Ce mouvement aura permis à la République centrafricaine de devenir le 110e pays abolitionniste, et le 24e en Afrique, tout en offrant un formidable exemple de la manière dont les ONG peuvent s’investir dans les campagnes locales contre la peine de mort.

Prix de l’innovation: Justice for Keith Lamar, Albert Marquès et Keith Lamar (États-Unis et Catalogne)

En 1993, Keith LaMar a 23 ans lorsqu’une insurrection violente éclate au sein de la prison dans laquelle il est détenu depuis quatre ans, faisant plusieurs morts. Durant l’enquête qui suit la fin de l’émeute, il est désigné par plusieurs autres prisonniers comme l’instigateur de la rébellion et condamné à la peine capitale pour meurtre, malgré de nombreux témoignages contradictoires. Il n’a depuis jamais quitté le couloir de la mort.

Keith continue aujourd’hui à clamer son innocence, tout en pointant du doigt l’aspect raciste de sa condamnation, prononcée par un jury exclusivement blanc. Durant ses années de détention, il devient un fervent lecteur et écrit régulièrement, ce qui conduit à la publication de Condemned en 2014. Depuis une dizaine d’années, l’association Justice for Keith Lamar s’efforce de l’aider à raconter son histoire.

Le pianiste catalan Albert Marquès entend parler de l’histoire de Keith pour la première fois en 2020, dans un podcast où celui-ci est interviewé. Il a immédiatement l’idée d’organiser un concert de soutien. Il contacte Keith, et les deux hommes se lient d’amitié autour de leur passion commune pour le jazz. Le projet prend forme, Albert commence à rassembler des musiciens bénévoles, les chansons seront choisies par Keith, qui prendra aussi la parole entre les performances grâce à des vidéos pré-enregistrées.

Le concert a finalement lieu à Grand Army Plaza, avec 25 musiciens, ce qui inspire Albert à prolonger l’expérience encore plus loin, avec l’enregistrement d’un album commun regroupant de nombreux musiciens autour du spoken word de Keith. Freedom First voit le jour en 2022. En accompagnant les paroles de Keith de rythmes jazz, Albert lui offre une plateforme pour exprimer les émotions et réflexions mûries par trente ans passés dans le couloir de la mort, ainsi que par les talents d’écriture développés durant cette période.

Le travail d’Albert et de Keith témoigne de la capacité qu’ont la créativité et l’espoir à perdurer malgré l’emprisonnement, et offre un parfait exemple de symbiose entre une œuvre musicale et un message politique, où les aspects subversifs et artistiques se complètent à merveille.

Grand Prix du Public Robert Badinter : Me. Nasrin Sotoudeh (Iran)

L’avocate iranienne, Nasrin Sotoudeh, militante de longue date des droits humains dans son pays, est la toute première lauréate du Prix Robert-Badinter. Retenue en Iran, toujours sous la menace du régime, c’est le directeur d’Iran Human Rights (IHR), Mahmood Amiry-Moghaddam qui a reçu son prix, des mains de l’ancienne garde des Sceaux française, Christiane Taubira, lors d’une cérémonie qui se déroulait à l’Hôtel de ville de la capitale allemande. « Ce prix du public est la reconnaissance de la communauté abolitionniste et plus largement de toute la communauté internationale pour le travail et le courage exceptionnel de cette femme engagée pour la défense des droits humains et l’abolition de la peine de mort en Iran », a déclaré Raphaël Chenuil-Hazan, le directeur général d’Ensemble contre la peine de mort (ECPM), organisatrice du Congrès. « Plus que jamais nous devons être solidaire du peuple iranien et c’est ce que ce Prix Robert-Badinter vient souligner », a-t-il conclu.

Lire la lettre de Nasrin Sotoudeh

Événement
novembre 2022
L’avocate iranienne, Nasrin Sotoudeh, militante de longue date des droits humains dans son pays, est…
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