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Trente ans de moratoire au Maroc : une attente interminable

Rabat, le 23 avril 2024. Les acteurs du mouvement abolitionniste marocain appellent l’Etat marocain à s’engager concrètement en faveur de l’abolition de la peine de mort dans leur pays. Dans un rapport d’enquête, réalisé en collaboration avec l’ONG Ensemble contre la peine de mort (ECPM) et publié le 23 avril 2024, les quatre organisations s’inquiètent de la situation des condamnés à mort au Maroc et réclament des avancées concrètes vers l’abolition de la peine de mort.
Rapport de mission d’enquête

Malgré l’absence d’exécutions depuis plus de trente ans, la peine capitale est encore synonyme de mort au Maroc. Elle est aussi synonyme d’une profonde détresse pour les personnes condamnées et pour leurs familles, disloquées, stigmatisées, qui doivent parfois quitter leur quartier pour éviter le rejet de leur entourage, en raison de la condamnation à mort de leur proche. Pourquoi créer et maintenir tant de souffrance pour une peine qui n’est plus exécutée, interroge Carole Berrih, l’autrice du rapport.

« De nombreux acteurs aussi divers que des ministres, des parlementaires, des avocats ou les présidents successifs du Conseil national des droits de l’Homme ont démontré que la peine de mort était contraire au droit à la vie, pourtant garanti dans la constitution marocaine. Il va donc de soi que la peine capitale doit être abolie au Maroc. »

Maître Abderrahim Jamaï, coordinateur de la Coalition marocaine contre la peine de mort.

« Un moratoire de fait est une situation fragile et réversible du jour au lendemain. Les exemples dans l’histoire ne manquent pas pour reprise des exécutions. Encore très récemment la RDC observait un moratoire de fait depuis 23 ans. Aujourd’hui, elle entreprend d’y mettre fin pour reprendre les exécutions. »

Raphaël Chenuil-Hazan, directeur d’ECPM.

En 2023, le Maroc a célébré trente années de moratoire. Néanmoins, la peine capitale n’a pas disparu de la législation et les tribunaux continuent de prononcer des condamnations à mort. Trois personnes ont été condamnées à mort en 2022.

Selon les données officielles, 83 personnes condamnées à mort étaient incarcérées dans les prisons marocaines au 31 mars 2023, dont 81 hommes et deux femmes.

Les personnes condamnées à mort présentent, à divers niveaux, des états psychologiques fragiles. En se fondant sur les témoignages des femmes et des hommes condamnés à mort détenus au Maroc et sur ceux de leurs familles, ce rapport fait état des conditions de détention telles qu’elles sont vécues par les premières personnes concernées.

Dix ans après la publication d’une première mission d’enquête qui s’alarmait de l’impact de ces conditions de détention sur la santé mentale des hommes et des femmes condamnés à mort, ce rapport montre que la situation a évolué mais que des défis demeurent.

Évolution de l’application de la peine de mort

Entre 1954 et 1993, 54 exécutions ont été documentées dans le royaume. La dernière exécution date du 5 septembre 1993. Le Maroc observe un moratoire de facto. La peine de mort continue à être prononcée par les tribunaux nationaux. Selon les données officielles du ministère de la Justice, 103 condamnations à mort ont été prononcées entre 2010 et 2021, soit une moyenne de neuf condamnations à mort par an.

Depuis plusieurs années, la plupart des condamnations à mort sont prononcées dans des affaires de droit commun. En 2020, huit des neuf condamnations à mort prononcées au cours de l’année l’ont été dans des affaires de droit commun, et une dans une affaire de terrorisme.

Graphique : Evolution du nombre de personnes condamnées à mort incarcérées au Maroc

Le nombre de personnes condamnées à mort incarcérées dans les prisons marocaines a considérablement diminué depuis trente ans, et notamment en raison de l’exercice du droit de grâce royale. Pour les autorités marocaines, « les grâces royales contribuent grandement à rééquilibrer la politique punitive ». Alors que 197 personnes condamnées à mort étaient incarcérées en 1993, elles étaient 83 en 2023.

Les mesures de grâce comme régulateurs

Le droit de grâce est exercé par le roi, conformément à l’Article 58 de la Constitution.  Le roi Mohammed VI a exercé ce droit à plusieurs reprises pour commuer des peines capitales en peine de prison à perpétuité, de manière collective ou individuelle, à l’occasion de fêtes nationales : 156 personnes condamnées à mort en auraient bénéficié entre 2000 et 2023.  Alors qu’aucune grâce n’aurait été accordée entre 2011 et 2016, 35 personnes condamnées à mort ont vu leur peine commuée en 2016 à l’occasion de la fête du Trône et de l’Aïd el-Adha.

La même année, une grâce royale a également été accordée à Khadija Amrir, une ancienne condamnée à mort : cette femme a été libérée après vingt-deux ans de prison. Ces initiatives sont évidemment saluées par les acteurs de la société civile marocaine mais ces derniers s’inquiètent tout de même de voir le nombre de personnes condamnées à mort augmenter de façon constante depuis trois ans.

Recommandations à l’État Marocain

  • S’engager vers l’abolition de la peine de mort
  • Voter en faveur de la Résolution de l’Assemblée générale des Nations unies appelant à un moratoire universel sur l’application de la peine de mort en décembre 2024
  • Dans l’attente de l’abolition, engager des réformes législatives visant à réduire le champ d’application de la peine de mort
  • Garantir une représentation judiciaire de qualité aux personnes passibles de la peine de mort
  • Améliorer les conditions de détention des personnes condamnées à mort
  • Renforcer le suivi des conditions de détention des condamnés à mort par les Institutions nationales y  compris par le Mécanisme national de prévention de la torture

Contact presse :

Bertin Leblanc : bleblanc@ecpm.org  +33 7 70 11 12 43

Infographie – la peine de mort au Maroc (2023)
Témoignage
avril 2024
À l’occasion des 30 ans de moratoire sur les exécutions au Maroc, la publication du…