Je pense que cela naît d’un besoin, mais aussi d’une opportunité. Aux États-Unis, où j’ai passé toute ma carrière jusqu’à maintenant, j’ai ressenti que le mouvement avait un besoin croissant de se faire entendre à travers de nouvelles voix, via des canaux moins conventionnels. Il s’agit de le dépolitiser, de démontrer que les différents acteurs de la société ont le droit de ne pas être d’accord sur tout, mais que s’il y a une chose sur laquelle tout le monde s’entend, c’est que la peine de mort doit être abolie.
Nous avons aussi profité d’une opportunité : j’ai lancé l’initiative en 2017 en sachant que je n’étais pas la première à vouloir impliquer les entreprises dans une campagne militante, même concernant la peine de mort, mais je pense que nous l’avons fait pile à un moment où les entreprises se rendaient peu à peu compte qu’il fallait se positionner sur des problématiques sociétales, voire politiques. Peu après la création de RBJI, Nike avait lancé une campagne avec Colin Kaepernick, il était de plus en plus reconnu que les entreprises prenaient position sur des questions politiques très importantes et délicates. Ces entreprises, du fait de leur audience, de la portée de leurs voix, étaient très précieuses pour nous, et pour elles, c’était rentable. Elles étaient désormais prêtes à nous entendre, à voir de la valeur dans ce que nous leur demandions de faire, car c’est aussi ce qu’attend le consommateur.
Quelle est votre stratégie pour interpeller les dirigeants d’entreprise ?
Une partie du travail consiste à lancer un appel général aux entreprises pour qu’elles se positionnent contre la peine de mort et s’associent à notre initiative, et une autre partie consiste à cibler stratégiquement certaines entreprises en les informant sur ce qui se passe dans leur État. Si elles se prononcent sur la question, nous leur proposons de les accompagner plus activement.
À l’origine, notre stratégie tournait autour de l’investissement européen, car c’était une époque où les entreprises européennes subissaient une pression de plus en plus forte à propos de leurs politiques de respect des droits des personnes, elles étaient donc fortement invitées à soutenir des initiatives positives à ce sujet. Je pense que c’est probablement en 2017 qu’un groupe d’entreprises a parlé de la protection des défenseurs des droits de l’homme.
Beaucoup d’États qui dépendent des investissements étrangers aux États-Unis sont des États rétentionnistes. D’un point de vue plus stratégique, nous nous sommes souvent intéressés aux États qui envisagent activement une campagne abolitionniste, car c’est à ce moment-là que les entreprises sont très utiles. Par exemple, les États de l’Ohio et de l’Utah envisagent tous deux des projets de loi sur l’abolition en ce moment ou au cours du prochain cycle législatif, et il se trouve que nous étions activement impliqués dans les discussions avec les entreprises locales pour connaître leur position et, le cas échéant, savoir ce qu’elles comptaient faire à ce sujet.
Pour résumer, dans nos plus grosses campagnes, on retrouve des chefs d’entreprise éminents qui ont de gros investissements dans des États qui mènent des campagnes actives, et d’autres qui s’engagent plus généralement pour l’abolition de la peine de mort dans le monde. Je pense à Tony Fernandes d’Air Asia, qui s’est beaucoup impliqué dans certaines affaires en Asie du Sud-Est, ou à certains chefs d’entreprise de l’Utah et de l’Ohio qui sont impliqués dans des affaires de peine de mort dans leurs États respectifs. Ils Les chefs d’entreprises ont un impact indéniable, surtout s’ils ont un nom très reconnaissable. Leur rôle de messager est très puissant.
Comment avez-vous convaincu Richard Branson de s’engager ?
Richard Branson s’est engagé dans la lutte contre la peine de mort bien avant que je ne prenne contact avec lui, je ne m’attribuerai donc pas le mérite de l’avoir convaincu. J’ai commencé à travailler avec son équipe en 2017-2018. Nous voulions vraiment aborder la question de la peine de mort sous un angle nouveau et lever toute une armée de chefs d’entreprise prêts à s’exprimer sur le sujet. L’ensemble de la campagne a été construite avec son équipe dès le premier jour.
Nous lui demandions d’utiliser sa position dans son réseau pour faire entendre au monde entier qu’il était temps de mettre un terme à la peine de mort. Nous souhaitions aussi qu’il fasse passer le mot auprès d’un plus petit groupe, ses homologues dans la communauté des affaires par exemple, pour qu’ils se rallient à notre cause. Nous avions fixé à Richard l’objectif de convaincre 100 autres Richards, nous pouvons maintenant dire que nous nous sommes retrouvés avec environ 220 Richards de plus – ce qui est une réussite classique de Richard Branson !
Selon vous, à quel point le monde des affaires peut-il changer les règles ?Il est vraiment difficile de mesurer son impact, car jamais je ne dirai que les chefs d’entreprise sont la seule raison pour laquelle une campagne abolitionniste gagne. Lorsque nous avons lancé la campagne, nous n’avions que 21 chefs d’entreprise impliqués. Elle est désormais couverte par plus de 120 médias à travers le monde. Avec un si grand groupe impliqué dans cette cause, je pense que l’on peut maintenant dire qu’effectivement, les entreprises s’intéressent à la peine de mort.
Plusieurs nouvelles entreprises nous contactent chaque jour, ce qui prouve que c’est une question qui les préoccupent. Si chaque entreprise s’en soucie ? Je ne sais pas, mais Les dirigeants qui participent à la campagne représentent un groupe très important en termes d’activités, de taille et de nombre d’employés, et il est devenu impossible d’ignorer ce nouveau messager. Le gouverneur Stitt en Oklahoma a récemment choisi de ne pas exécuter Julius Jones à la toute dernière minute : dans quelle mesure les entreprises ont-elles joué un rôle dans cette décision ? Je n’en ai aucune idée, c’est impossible à dire !
Le gouverneur Stitt avait déclaré qu’il souhaitait créer des emplois, c’est le seul gouverneur qui a de l’expérience dans le domaine des affaires, donc nous savons au moins qu’il est sensible à l’influence de ce secteur. Nos partenaires ont participé à cette campagne et ils continueront à faire ce genre de promotion dans les campagnes individuelles.
En Utah et en Ohio, je pense que le soutien des entreprises apporte une valeur ajoutée au travail des militants qui œuvrent depuis de nombreuses années. Les entreprises se font leur porte-voix, ce qui a un effet de levier important sur les législateurs. Avant d’ignorer les demandes des entreprises, un législateur y réfléchira à deux fois, car elles sont des membres très importants de la communauté en termes de création d’emplois, de paiement des impôts et de toutes les choses sur lesquelles les États-Unis comptent. Pour le meilleur ou pour le pire, c’est un fait !
Qu’attendez-vous du 8e Congrès mondial contre la peine de mort, qui aura lieu à Berlin en novembre 2022 ?
Je m’attends à ce qu’il soit fantastique, puisqu’ECPM l’organise ! C’est à vous de jouer maintenant, je suis curieuse de voir comment le secteur privé devrait ou pourrait avoir sa place dans le combat abolitionniste, selon vous. Je vois cela comme une opportunité de se réunir pour toutes les personnes qui ont été impliquées jusqu’alors, pour qu’elles puissent échanger sur leurs actions. La nature mondiale du Congrès offre au secteur privé la possibilité de s’exprimer d’une manière différente. Je me souviens que lors du Congrès mondial de Bruxelles, en 2019, un appel au secteur des affaires avait été lancé pour qu’ils comprennent qu’il était temps qu’il soit de notre côté : il pourrait être intéressant de retracer les progrès effectués pendant ces trois années.
Souhaitez-vous partager une réalisation du RBJI jusqu’à présent ?En tant qu’ancien avocat de la défense qui a l’habitude de perdre, c’était très satisfaisant de voir que nous allions amener des centaines d’entreprises à se mobiliser et à s’intéresser à des personnes qui n’ont généralement pas grand monde de leur côté. Le jour de la mise en ligne de la campagne, je me souviens de tous ces mails de chefs d’entreprise qui voulaient s’inscrire. J’ai passé de nombreuses années les prisons à travailler pour des personnes qui n’avaient presque aucun espoir, et pour lesquelles je ne pouvais pas faire grand-chose. Aujourd’hui, je suis donc très fière de réunir toutes ces personnes incroyablement puissantes qui elles, ont le pouvoir de changer les choses.
Quand on lance une campagne de cette nature, on ne veut surtout pas qu’elle échoue, cela enverrait un message très négatif. Pour nous, c’est tout le contraire qui s’est produit : des centaines de personnes veulent y participer, c’est très gratifiant et excitant à la fois, je vois enfin le fruit de toutes ces années de travail.
S’éloigner de la représentation directe, de la pratique sur le terrain, a été une décision personnelle assez importante pour moi. Parfois, dans le cadre d’une campagne, on peut avoir du mal à mesurer l’impact de ses actions, alors que lorsque l’on défend quelqu’un, on sait si l’on est en train de perdre ou de gagner, au fil des audiences. Je pense que lorsque cette campagne a été couverte autant qu’elle l’a été, et si bien engagée par les entreprises avec lesquelles nous avons travaillé, ce sont les retombées qui se font sentir ! Dans notre cas, les retombées presse et les engagements pris par les acteurs du secteur privé sont très gratifiantes.
Comment s’impliquer en tant que chef d’entreprise ?
Vous pouvez consulter le site www.businessagainstdeathpenalty.org pour vous inscrire en tant que représentant du secteur privé, ou nous contacter en tant qu’association de défense des droits de l’Homme. Un grand nombre d’organisations sont partenaires de RBJI, elles qui conçoivent et mettent en œuvre les campagnes, ECPM étant l’une d’entre elles. Nous accompagnons aussi les particuliers qui souhaitent sensibiliser leur employeur, par exemple, et participer à la campagne.
Rejoignez l’initiative ici