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Maître Yangambi Libote : « Quel que soit le crime commis, l’humanité ne devrait pas être sacrifiée »

Firmin Yangambi Libote, fervent défenseur des droits humains et opposant à la peine de mort en République démocratique du Congo (RDC), se trouve actuellement en visite en France. Sa présence souligne l'importance du dialogue international sur les questions de justice et de droits fondamentaux, dans un contexte où la levée du moratoire sur les exécutions a été levé le 13 mars 2024, suscitant de vives inquiétudes. En tant qu'avocat engagé et président de l'ONG Paix sur Terre, Maître Yangambi Libote œuvre pour sensibiliser divers public aux enjeux liés à la peine capitale et défendre les droits des personnes condamnées à mort.
Firmin Yangambi Libote, ancien prisonnier politique, ancien bâtonnier de la province de la Tshopo au barreau de Kisangani et avocat à la Cour pénale internationale, activiste des droits humains et président de l’ONG Paix sur terre, a été condamné à mort en 2010 pour détention illégale d’armes de guerre et tentative d’organisation d’un mouvement insurrectionnel. Photo © Christophe Meireis

Pouvez-vous nous parler des moments clés de votre parcours et des obstacles que vous avez dû surmonter en tant qu’avocat et militant des droits humains en RDC ?

Le système judiciaire congolais est un système jalonné d’obstacles, de difficultés en tous genres, aussi bien pour les justiciables, pour les avocats, pour les défenseurs des droits humains et je dirais même pour les magistrats et les juges. Personnellement, en tant qu’avocat, j’ai déjà été confronté à des menaces de représailles du fait de la défense des intérêts des justiciable, surtout lorsque ces intérêts étaient en contradiction avec ceux des personnes au pouvoir ou des institutions publiques. Par la suite, j’ai moi-même été victime de cette justice arbitraire. J’ai été poursuivi pour deux incriminations d’ordre politique et j’ai écopé de la peine de mort. Par la suite, j’ai effectué 10 ans de prison, puis ma sentence a été réduite à 20 ans. J’ai finalement été libéré suite à une mesure de grâce présidentielle, alors que j’aurais pu bénéficier d’une loi d’amnistie, mais cette opportunité m’a été retirée par la volonté des personnes en position de pouvoir. Même après avoir été libéré et gracié, j’ai continué à être la cible de poursuites judiciaires sous divers prétextes, très souvent en raison de mon engagement dans la défense des droits humains. Mon cas est peut-être l’un des plus médiatisés, mais il n’est pas unique. De nombreux autres Congolais endurent des injustices tout aussi graves, voire pires, mais peut-être dans l’obscurité de l’anonymat.

Vous venez en France pour partager votre histoire et alerter sur l’utilisation de la peine de mort. En quoi pensez-vous que la sensibilisation à cette question est cruciale ?

Je pense qu’il est essentiel de sensibiliser à ces questions, car à la racine de tout cela se trouve le droit à la vie. En apparence, il semble que toute l’humanité ait plus ou moins souscrit à la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations Unies, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et ainsi de suite. Nous considérons que, du point de vue de l’humanité, le droit à la vie est un principe fondamental pour tout individu. Je pense que l’abolition de la peine de mort est une cause commune à toute l’humanité, et il est donc crucial que l’ensemble de la communauté mondiale participe à sa promotion.

Plaidoyer
avril 2024
À son Excellence Monsieur le Président de la République et Chef de l’État de la…

La France, évidemment, est l’un des pays qui a été en première ligne de cette lutte pour l’abolition. Je crois que la France peut continuer à entretenir des liens très étroits, tant sur le plan diplomatique que culturel, avec le gouvernement congolais en particulier, pour des missions de plaidoyer. De plus, la société civile française, notamment à travers les organisations de défense des droits de l’Homme, peut jouer un rôle important en plaidant pour cette cause, en collaboration avec plusieurs organisations sur le continent africain, y compris au Congo. C’est donc une cause commune qui exige que des efforts soient conjugués par toute l’humanité.

Après avoir été condamné à mort et passé 10 ans en détention, vous avez été gracié, mais le harcèlement judiciaire semble persister. Comment gérez-vous cette pression continue et quelles sont vos principales préoccupations pour l’avenir ?

La pression exercée dans de telles circonstances est extrêmement grave, car elle provient de personnes en position de pouvoir, ayant à leur disposition toute la machine répressive de l’État, qu’ils peuvent déployer à tout moment. C’est une pression difficile à gérer. En réalité, on ne la gère pas. Nous tentons simplement de la supporter, d’agir comme les roseaux. Lorsque le vent souffle fort, nous nous courbons en attendant des jours meilleurs où nous pourrons nous redresser. Après avoir été confronté à la condamnation à mort, à dix ans de prison et aux différentes formes de torture dans ce pays, j’y fais face. Mon bagage humain et monexpérience personnelle me permettent également de la canaliser, mais la route vers l’avant n’est jamais garantie.

Témoignage
avril 2024
Maître Firmin Yangambi Libote, ancien prisonnier politique, ancien bâtonnier de la province de la Tshopo…

La récente décision du gouvernement congolais de lever le moratoire sur la peine de mort a suscité de vives inquiétudes au niveau national et international. Quel est votre point de vue sur cette évolution et quelles conséquences redoutez-vous pour le pays ?

En tant que Congolais, je constate clairement que la levée du moratoire représente un important recul par rapport aux efforts déployés par le gouvernement de la RDC sur cette question. Il est important de rappeler que ce moratoire, malheureusement levé, avait été instauré à un moment crucial, lors de l’exécution de condamnés à mort dans l’affaire de l’assassinat d’un ancien président de la République, dont le fils est devenu président par la suite. Dans ce contexte de célébration et de tension politique, la décision du gouvernement congolais d’instaurer ce moratoire était sans aucun doute difficile. Aujourd’hui, dans un contexte plus apaisé après deux décennies d’efforts, la levée du moratoire, sous prétexte de lutter contre les trahisons au sein des forces armées, semble clairement être une mesure de propagande populiste. Cette décision n’a rien à voir avec la lutte contre l’impunité ni avec le renforcement des capacités des forces armées congolaises. Au contraire, elle semble aller à l’encontre de ces objectifs.

Les mesures nécessaires se trouvent ailleurs, notamment dans la réforme complète du système judiciaire, dans l’autonomisation des magistrats tant en termes de formation que de moyens de travail. De plus, pour mener efficacement une guerre, nos forces armées ont besoin de ressources adéquates et de formations appropriées. Ainsi, la levée du moratoire sur la peine de mort n’est en aucun cas une mesure contribuant à améliorer la capacité militaire de la RDC en termes de défense du territoire ou de lutte contre l’impunité. Il s’agit plutôt d’une mesure qui pourrait être utilisée pour exclure les opposants politiques ou limiter la liberté d’expression et de pensée, comme cela a été le cas dans les régimes précédents de la région. Les risques associés à cette décision sont énormes, tant pour la promotion des droits de l’Homme en général que pour la défense du droit à la vie en particulier.

En tant que président de l’ONG Paix sur terre, vous militez pour l’appui aux victimes de la guerre. Comment évaluez-vous la situation actuelle en RDC, notamment en ce qui concerne les droits de l’homme et les efforts de construction de la paix, à la lumière de cette décision concernant la levée du moratoire sur les exécutions ?

Il faut reconnaitre que nous nous trouvons dans une situation délicate, surtout après tant d’années d’efforts et d’actions positives, aussi bien de la part du gouvernement congolais que de ses États partenaires, tant au niveau bilatéral que multilatéral, ainsi que des efforts des ONG nationales, internationales et françaises en particulier. Le fait soudain de devoir réévaluer la question représente un défi majeur. Cette décision nous prend vraiment de court. Pour ma part, je pense qu’il est essentiel, dans un premier temps, d’évaluer la véritable portée de cette mesure de levée de moratoire. Il est nécessaire de comprendre les motivations des autorités qui ont pris cette décision. Bien que je reste convaincu qu’il s’agit d’une mesure de propagande politique, il est crucial de cerner leur intention réelle. Ensuite, il est important de recourir aux moyens classiques, tels que la sensibilisation des opinions publiques. En effet, il ne faut pas oublier que les opinions publiques ont également leur rôle à jouer dans cette question de la peine de mort, d’où la nécessité de les sensibiliser.

Après, il y a les actions de plaidoyer menées principalement par les ONG, tant nationales qu’internationales. Au niveau national, il existe au Congo deux ou trois ONG qui travaillent réellement sur cette question, notamment Culture pour la Paix et Justice des Conflits au Congo (CPJCC), qui malheureusement se retrouve un peu esseulée sur cette question et ne reçoit pas le soutien nécessaire de la part de nos grandes organisations, notamment les barreaux congolais qui auraient également dû jouer un rôle important dans cette direction.

En plus des plaidoyers nationaux et internationaux, je crois aussi qu’au niveau des États, par le biais de la voie diplomatique, il est possible d’intervenir. Par exemple, la France entretient des relations diplomatiques très étroites avec la RDC et fournit une aide au développement, notamment dans le domaine de la formation de l’armée, des services de renseignement et de la justice. Je pense que le gouvernement français pourrait utiliser ses moyens pour dialoguer avec ses partenaires congolais et œuvrer en faveur du rétablissement du moratoire dans un premier temps, mais en fin de compte, pour l’abolition totale de la peine de mort, qui demeure toujours légale en vertu du droit pénal congolais.

Il faut une véritable abrogation de disposition de la loi pénale congolaise qui institue la peine de mort comme sanction.

Quel message souhaitez-vous adresser au grand public pour les encourager à reconsidérer leur position sur la peine capitale ?

Je tiens d’abord à souligner qu’à l’époque de l’abolition de la peine de mort en France, l’opinion publique était majoritairement favorable à son maintien. Des décennies plus tard, je pense que l’opinion publique française a réalisé que les craintes liées à l’abolition de la peine de mort, notamment en ce qui concerne une éventuelle augmentation de la criminalité, ne se sont pas réalisées. D’autres sociétés qui redoutent que l’abolition de la peine de mort ne conduise à une impunité pourraient tirer des leçons de cet exemple.

En réalité, la question n’est pas de savoir si les criminels doivent être punis par la mort, mais plutôt de trouver des moyens de les punir tout en préservant l’humanité. Personnellement, j’ai toujours considéré que, quel que soit le crime commis, surtout lorsque la peine de mort est réservée aux crimes ayant entraîné la mort, l’humanité ne devrait pas être sacrifiée. En condamnant à mort les auteurs de ces crimes, c’est l’humanité dans son ensemble qui en pâtit, car ces individus font partie intégrante de l’humanité.

De plus, nous devons considérer que, en dehors des morts qui pourraient résulter de ces crimes, il y a la question fondamentale du droit à la vie. Nous devons nous interroger sérieusement : le droit à la vie est-il absolu ou relatif ? Si nous considérons que le droit à la vie est absolu, alors l’abolition de la peine de mort doit également être absolue. En revanche, si nous pensons que le droit à la vie est relatif, certaines personnes pourraient argumenter que l’abolition de la peine de mort est également relative. Cependant, dans ce dernier cas, nous devons tous être conscients des pentes glissantes que cela représente. Si en tant que société humaine nous décidons que le droit à la vie est relatif, nous nous engageons sur une voie extrêmement dangereuse pour l’humanité tout entière.