Pourriez-vous nous décrire la réflexion et les évènements qui ont menés à la création du Réseau des avocats camerounais contre la peine de mort ?
Le RACOPEM voit le jour dans un contexte marqué par le peu d’engagement des avocats camerounais contre la peine de mort en 2015. Paradoxalement à cette époque, le Cameroun est l’un des pays de l’Afrique francophone où le taux de condamnation à la peine de mort est le plus élevé. Notre rêve était alors de former une génération d’avocats spécialisés à la défense des personnes passibles de la peine de mort et capables de défendre l’abolition dans l’espace public. Dans cette perspective, et malgré la réticence de notre ordre professionnel, un ancien Bâtonnier qui a accepté de nous accompagner.
Dans un premier temps, nous avons sensibilisé quelques avocats intéressés à la cause abolitionniste et avons organisé des visites dans plusieurs prisons du pays dans le cadre d’une étude sur les conditions de détention des personnes passibles de la peine de mort. A l’issue de ces visites, nous nous sommes rendu compte que les condamnés à mort étaient confrontés à de nombreux défis en prison et que leurs condamnations à mort n’étaient souvent pas fondées sur des preuves irréfutables. C’est pour cette raison que nous avons décidé d’apporter une assistance juridique aux condamnés à mort qui avaient exercé des voies de recours.
Dans notre combat contre la peine de mort, nous avons jugé utile et stratégique de renforcer les capacités des acteurs judiciaires (avocats, juges et administration pénitentiaire) sur les normes internationales concernant la peine de mort. Avec l’appui d’ECPM, des formations de renforcement des capacités spécifiques aux avocats ont été organisées. Ces efforts ont produit des résultats inespérés : le nombre de condamnations à mort a considérablement baissé passant de 330 en 2018 à 120 selon le chiffre officiel du gouvernement en 2020.
Quelle est l’importance du Congrès mondial pour votre pratique d’avocat et pour le RACOPEM ?
Le Congrès mondial contre la peine de mort est l’une des rares occasions permettant de réunir les acteurs abolitionnistes y compris les professionnels de droit qui, aux niveaux locaux, régionaux et internationaux, œuvrent quotidiennement à faire disparaître la peine de mort des arsenaux judiciaires et législatifs. Ce grand rassemblement triennal nous a offert l’opportunité de rencontrer des praticiens du droit de tous les continents et de partager avec eux les défis auxquels nous sommes confrontés tous les jours dans la défense des personnes passibles de la peine de mort ainsi que des stratégies pour les surmonter.
Partant des relations tissées au congrès mondial, nous collaborons avec plusieurs organisations et barreaux d’avocats qui offrent des services d’assistances juridiques aux condamnés à mort. Nous avons ainsi pu bénéficier de l’expertise juridique du Cabinet d’avocats Debevoise à New York et du Cornell Center on the Death Penalty Worldwide aux États-Unis dans la défense de plusieurs affaires concernant les condamnés à mort au Cameroun. Grâce à leurs conseils stratégiques, nous avons eu gain de cause dans toutes les affaires de peine de mort que nous avons représentées en justice.
Par ailleurs, lors de ce grand rendez-vous des abolitionnistes, nous avons également développé des collaborations qui sont essentielles dans la saisine des organes de traités pour soumettre les cas individuels de nos clients condamnés à mort.
Quel est l’impact du prix que vous avez reçu pendant le Congrès mondial pour le travail du RACOPEM ?
Nous avons accueilli ce prix comme étant une reconnaissance internationale de notre contribution à l’abolition de la peine de mort dans notre pays qui est toujours en situation de moratoire de fait. Partant de là, notre engagement à lutter contre la peine de mort est sans limites malgré les défis auxquels nous avions fait face par le passé. Motivés par notre reconnaissance, plusieurs avocats ont rejoint le RACOPEM et partagent désormais notre combat contre la peine de mort au Cameroun.
Le prix nous a également conféré une légitimité pour aborder la question de l’abolition de la peine de mort dans notre pays. Bien que nos autorités politiques soient peu engagées sur la question, nous nous réjouissons du fait que sous notre impulsion, la commission des droits de l’homme du Cameroun, l’Assemblée nationale et l’Ordre des avocats au Barreau du Cameroun aient pu intégrer l’abolition de la peine de mort dans leurs agendas de travail.