
En février 2025, lors du Segment biennal de Haut niveau sur la peine de mort, M. Volker Türk, Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme, s’est dit préoccupé par la dimension sexospécifique de la peine de mort devant le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies: « Il est amplement prouvé que les États ne tiennent pas pleinement compte des circonstances atténuantes liées au genre lorsqu’ils condamnent des femmes à la peine de mort, y compris des antécédents de traumatismes et de violences liés au genre ».
Le nombre de condamnations à mort de femmes dans le monde est moins important que celui des hommes. Les femmes représenteraient moins de 5 % de la population totale des personnes condamnées à mort dans le monde.
L’année 2024 a été marquée par une augmentation effrayante des exécutions dans certains pays et notamment des exécutions de femmes. En Iran, au moins 31 femmes ont été exécutées, le plus grand nombre depuis au moins 17 ans (22 femmes avaient été exécutées en 2023, 16 en 2022). L’Arabie saoudite a exécuté 9 femmes, ce qui représente le plus grand nombre d’exécutions de femmes dans l’histoire du pays, soit une augmentation de 50 % par rapport à l’année 2023 durant laquelle 6 femmes avaient été exécutées.
Les différences de traitement fondées sur le genre s’observent dans la législation et dans la pratique. Au niveau des procédures pénales relatives à la peine de mort, elles sont toutefois encore peu étudiées, ce qui rend difficile l’obtention de données précises. En conséquence, les mauvais traitements dont sont victimes les femmes condamnées à mort ou risquant de l’être ne peuvent être dûment qualifiés et quantifiés. Il existe pourtant des exemples de ces inégalités particulièrement significatives à travers le monde. En Iran, le témoignage d’une femme vaut la moitié de celui d’un homme. Dans nombre de pays, les violences sexuelles et domestiques ne sont pas sanctionnées. En Irak, les “crimes d’honneurs” sont considérés comme des circonstances atténuantes. À Singapour, en juillet 2023, une femme a été exécutée pour infraction liée à la drogue alors que l’homme co-accusé pour les mêmes infractions a été condamné à une peine de prison à vie.
Si les femmes ne constituent pas la majorité des personnes condamnées à mort détenues, elles sont souvent touchées par l’usage de la peine de mort de manière indirecte en tant que proches d’hommes condamnées à mort, qu’elles soient mères, épouses, filles…
Selon ONU Femmes, les femmes demeurent sous représentées au sein de l’Exécutif, du Législatif et du Judiciaire. Cela a des conséquences sur la formulation et l’application des législations relatives à la peine de mort, notamment pour les femmes.
De l’inculpation à la condamnation : une multitude de discriminations
Les femmes sont confrontées à des formes croisées de discriminations et ne bénéficient pas d’un égal accès à la justice. Dans nombre de pays, la majorité des juges et des avocats demeurent des hommes.
Dans leur grande majorité, les femmes sont condamnées à mort pour des infractions qui font suite à des violences basées sur le genre dont elles ont pu être victimes, et notamment des violences domestiques aggravées.
En 2017, la Rapporteure spéciale des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires déclarait dans un rapport présenté au Conseil des droits de l’homme :
Les titulaires du mandat relatif aux exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires soutiennent depuis longtemps que l’imposition de la peine de mort est assimilable à une exécution arbitraire dans les cas où les tribunaux n’ont pas pris en considération des éléments essentiels du dossier de l’accusé. On pense logiquement à des affaires de longue histoire de violence intrafamiliale, due notamment à des modèles sociaux marqués par les inégalités entre les sexes. Les femmes qui encourent la peine capitale dans des affaires de violence au sein de la famille souffrent d’une oppression sexiste à plusieurs niveaux. Par exemple, il est extrêmement rare que la violence au sein de la famille soit retenue comme circonstance atténuante par la cour d’assises. Même dans les pays où l’imposition de la peine de mort est discrétionnaire, les juridictions négligent souvent les répercussions des violences fondées sur le genre ou les minimisent.
Il a été constaté dans nombre de parcours judiciaires de femmes que leurs circonstances atténuantes sont moins prises en compte. En effet, il existe ce préjugé genré selon lequel les femmes ne seraient pas capables d’actes de violence. De fait, si elles en commettent, elles apparaissent comme ayant transgressé leur condition et les valeurs associées à la féminité. Elles sont alors plus aisément envisagées comme des criminelles de sang-froid. Il s’agit d’un raisonnement primaire, biaisé et discriminatoire, qui bafoue leur droit à un procès équitable. Par conséquent, bien que leur représentation dans les couloirs de la mort demeure relativement bas, les femmes accusées d’infractions passibles de la peine capitale sont jugées plus sévèrement et sont donc plus susceptibles d’être condamnées à mort.
Les pays qui criminalisent sévèrement le trafic de drogue, comme ceux du Golfe et de l’Asie du Sud-Est, comptent une forte proportion de femmes dans les couloirs de la mort. Vivant souvent dans la précarité économique, les femmes sont plus susceptibles d’être impliquées aux niveaux les plus bas et les plus exposées du trafic de drogue et donc plus vulnérables à l’arrestation pour des délits connexes passibles de la peine de mort.
Extrait du dossier « Cartographie de données : les femmes dans le couloir de la mort », Coalition mondiale contre la peine de mort (2023)
Après la condamnation, des conditions de détention particulièrement discriminantes pour les femmes
L’expérience du couloir de la mort est régulièrement qualifiée de torture par les organisations internationales de défense des droits humains, en raison de la dureté des conditions de détention, de la durée de l’incarcération et de l’angoisse liée à l’attente de l’exécution.
Les femmes dans le couloir de la mort sont susceptibles de subir des violations de leurs droits fondamentaux supplémentaires dans la mesure où leurs besoins sexo-spécifiques sont rarement pris en considération, et ce pour de multiples raisons. Les lieux d’incarcération ne les protègent pas toujours des violences sexuelles et sexistes et/ou ne garantissent nécessairement un accès aux soins d’hygiène et de santé sexo-spécifiques. Les femmes, plus que les hommes, sont susceptibles d’être exposées à des violences sexuelles en détention ; lorsqu’elles ne sont pas séparées des détenus hommes, lorsqu’elles sont gardées par des personnels pénitentiaires masculins. Elles sont aussi exposées à des conséquences différentes en cas de violences sexuelles, comme le fait d’être enceinte.
Il est impératif de rendre visible la réalité des problématiques liées à l’application de la peine de mort pour les femmes et de lutter pour une justice intersectionnelle, considérant les multiples facteurs de discrimination qu’elles subissent.
Lutte contre les violences sexuelles et peine de mort
La question du recours à la peine de mort comme instrument de lutte contre l’impunité dans le cadre des violences sexuelles faites aux femmes constitue un enjeu à la croisée des combats abolitionniste et des droits des femmes.
Des voix s’élèvent régulièrement pour prôner l’application de la peine de mort comme solution répressive aux affaires de violence à l’égard des femmes et des filles. Plus d’une dizaine d’États prévoient encore la peine de mort pour viol, qui pourtant ne permet pas de s’attaquer aux causes profondes des violences sexuelles et sexistes, de la culture du viol ni aux obstacles à l’accès effectif des victimes à la justice.
Les femmes engagées pour l’abolition de la peine de mort
Qu’elles soient ministres, parlementaires, représentantes d’instances nationales des droits de l’Homme, magistrates, avocates, ou défenseuses des droits humains, les femmes doivent faire face à des obstacles additionnels dans leur engagement pour l’abolition de la peine de mort. Elles sont parfois la cible de messages insultants sur les réseaux sociaux mais peuvent également dans certains pays être arrêtées et sont exposées à des violences sexo-spécifiques diverses.