C’est l’histoire d’une vie en suspens, prise dans le dédale du système carcéral et judiciaire malaisien. « Un enchaînement vertigineux », déplore l’avocat François Zimeray qui, ce matin-là, vient d’être projeté par visioconférence dans la réalité de son client, Tom Félix, détenu à la prison de Perlis, dans le nord de la Malaisie. L’avocat a pu s’entretenir avec le Français de 32 ans depuis sa prison bondée, « sous les cris incessants des autres détenus». Une plongée glaçante dans « la dureté de son quotidien », commente avec émotion, François Zimeray. « L’univers de la prison est une fabrique de déshumanisation. »
Sans avoir été jugé, Tom Félix est incarcéré depuis l’été 2023. Son arrestation fait suite à une saisie de cannabis par les forces de police dans les parties communes d’une maison où il sous-louait une chambre à un couple de Malaisiens, sur l’île de Langkawi. La quantité de la prise n’a cessé de varier dans les divers rapports de l’enquête pour atteindre près de 2 kg. Face à des charges aléatoires, le jeune homme est dans l’attente de son procès qui devrait débuter en juin 2025. Ce Français sans histoire, dont le casier judiciaire était vierge, clame son innocence. Il risque la condamnation à mort et, à défaut, quarante années de prison et des coups de canne.
Décrit par son avocat comme un « garçon qui a la tête sur les épaules », Tom Félix a mené une vie riche et active. Dès l’enfance, il suit ses parents, tous deux instituteurs, au fil de leurs postes dans différentes régions du monde. Après l’île de La Réunion et l’Amérique du Sud, la famille s’ancre en Asie, d’abord en Thaïlande, puis au Cambodge et aux Philippines, et s’installe finalement à Singapour, où Tom Félix achève sa scolarité au Lycée français international. « Très tôt, il se passionne pour le monde marin, raconte sa mère, Sylvie Félix. Il passe un diplôme d’instructeur de plongée puis entreprend des études en biologie marine en Australie. » Le jeune homme travaille ensuite trois ans dans une ferme ostréicole dans l’île de Florès en Indonésie. Puis il reprend ses études en France et rejoint le groupe Veolia, en Malaisie, durant trois ans. « Il fait preuve d’adaptabilité et d’une grande maturité professionnelle », souligne sa mère.
Tout s’est effondré
La paralysie liée à la pandémie sanitaire remet ses choix en question. Le Français souhaite alors vivre près de sa famille et de ses amis, et tente l’aventure en créant une entreprise de restauration en Malaisie, dans l’île de Langkawi. « Son affaire était en train de démarrer, retrace sa mère. Et puis tout s’est effondré. Le 14 août 2023, après quatre jours de silence, il nous a appelés pour nous dire qu’il était placé en garde à vue. » Tom Félix dit ignorer la présence et l’origine des produits stupéfiants. « Pour lui, c’était un mélange d’anéantissement et d’incrédulité. Il était tétanisé», poursuit sa mère.
Pourtant, tout semble disculper le Français. « Ses empreintes n’ont pas été identifiées sur les sachets de cannabis, Tom Félix ne consommait pas de drogue, et l’examen de son téléphone portable n’a révélé aucun contact avec les milieux de la drogue», explique son avocat. Initialement, l’un des colocataires s’est même désigné comme le détenteur des substances.
Les couloirs de la mort
En Malaisie, des évolutions récentes suscitent l’espoir que Tom Félix échappe au couloir de la mort. Depuis avril 2023, la peine capitale, par pendaison, n’est plus obligatoire dans ce cas. Ainsi, 477 condamnations à mort ont été révisées, et 22 d’entre elles ont été maintenues, principalement pour des cas de meurtres portant sur des enfants.
« Le juge a retrouvé son pouvoir discrétionnaire. Il est en mesure de considérer les circonstances atténuantes et ne condamne plus automatiquement à mort les personnes reconnues coupables d’infractions liées aux stupéfiants », explique Marie-Lina Pérez, responsable régionale de l’association Ensemble contre la peine de mort (ECPM). « Cependant, le droit international est clair sur le recours à la peine de mort qui ne doit être limité qu’aux “crimes les plus graves”, et donc exclut les infractions liées à la drogue.»
Pas de savon, ni de ventilateur
En attendant de connaître son destin, Tom Félix vit le calvaire de la prison malaisienne depuis onze mois. Il n’en sort que pour être présenté à des simulacres d’audiences. Enfermé dans une pièce avec une quarantaine de détenus, il endure des conditions dégradantes marquées par l’absence d’intimité et une hygiène déplorable. Les cellules dénuées de ventilateurs sont saturées par la chaleur tropicale et les moustiques.
En guise de matelas, un tapis sale. Il n’y a pas de savon pour se laver, et les latrines sont dans la cellule commune. Le droit à la promenade est inexistant. « Malgré ses facilités d’adaptation, c’est extrêmement dur, commente Sylvie Félix, la voix lourde d’angoisse. Tom a eu la galle, des furoncles, et en ce moment la tuberculose sévit dans la prison. Nous sommes inquiets pour sa santé.»
Seul Occidental de la prison, le jeune homme peine à communiquer en malais, dans un univers où cinglent les menaces et les intimidations. « Aujourd’hui, il lit des livres et fait beaucoup de méditation, poursuit sa mère. Il s’est forgé une carapace et se replie dans son monde intérieur pour survivre et accepter son enfermement. » En décembre dernier, effondré par le poids qu’il infligeait à ses proches, il a voulu un temps couper les ponts.
Un piège redoutable
« On est là pour lui », répète sa mère, remplie d’espoir depuis que François Zimeray, éminent avocat, ancien ambassadeur et fervent défenseur des droits de l’homme, s’est emparé du dossier. Si les services consulaires français à Kuala Lumpur jouent leur rôle, son entourage souhaiterait une mobilisation diplomatique pour extirper le Français de cette tragédie. Car la lenteur du système judiciaire, en Malaisie, est un piège redoutable, et les procédures pourraient s’éterniser. Tom Félix le sait. À sa famille et à ses avocats, il a glissé, cette semaine, d’un air résigné : « Déjà un an de prison, et probablement encore deux, pour n’avoir rien fait. »