Comment percevez-vous la situation actuelle des droits et des conditions de vie de la communauté LGBTQIA+ en Ouganda après l’adoption de la loi ?
Évidemment, depuis l’année dernière, la situation de la communauté LGBTQIA+ s’est considérablement détériorée au-delà de notre imagination, avec une recrudescence des violences à leur encontre. Des expulsions forcées aux sans-abris, en passant par le chômage, des personnes perdent leur emploi à cause de leur sexualité, d’autres sont torturées même lorsqu’elles sont sous la garde de la police. On observe également une augmentation des cas de nudité forcée et de viols de personnes LBGT.
Récemment, j’ai eu un appel avec une jeune femme transgenre qui a été arrêtée pour tentative d’homosexualité. Elle a été déshabillée devant d’autres policiers pour determinr son sexe, puis placée dans une cellule pour hommes, où les policiers ont crié : « Nous vous amenons un homosexuel. » Cette jeune femme trans a été violée en prison ou dans une cellule de police, à plusieurs reprises. Ces violences sont monnaie courante, et la situation ne fait que s’aggraver dans ce domaine.
En tant qu’activiste et représentant de votre organisation, comment gérez-vous ces nouveaux défis suite à l’adoption de la loi ? Quels sont ces nouveaux défis ? Comment parvenez-vous à travailler dans le pays pour soutenir les membres de la communauté LGBTQIA+ ?
Nous sommes confrontés à de nombreux défis en tant qu’organisation et en tant qu’activistes travaillant actuellement en Ouganda. Nous sommes confrontés à une situation où les droits des personnes LGBTQIA+ sont gravement violés. De plus, le financement pour les organisations et les projets LGBTQIA+ diminue.
La loi interdit tout soutien pouvant être apporté à la communauté LGBTQIA+, aux personnes LGBTQIA+. En conséquence, de nombreuses organisations et organismes de financement se retrouvent dans une situation difficile. Ils doivent protéger leurs employés et maintenir leur présence dans le pays.
Nous sommes face à un gouvernement très brutal. Nous avons vu le bureau des droits de l’Homme de l’ONU fermer en Ouganda. Nous sommes très limités en ressources, ce qui signifie que nous travaillons dans des conditions extrêmement difficiles; pour ceux d’entre nous qui continuent de nous battre pour fournir des services de base.
Avez-vous trouvé une forme de soutien de la part de la communauté internationale depuis l’adoption de la loi, ou vous sentez-vous un peu seul dans ce combat ?
La communauté internationale a pris des mesures, mais elles ne sont pas suffisantes, car la loi est toujours en vigueur. Je comprends que tout le monde a des limites, y compris la communauté internationale, mais je crois qu’il y a encore beaucoup de pression à exercer. Par exemple, les pays européens n’ont pas encore imposé de sanctions. Nous avons eu des sanctions de la part du Royaume-Uni et des États-Unis. L’Europe est complètement silencieuse sur la question et n’a pris aucune mesure ni imposé de sanctions. Et si cela n’est pas fait, alors nous avons l’impression que la communauté internationale n’en fait pas assez. Ils ont le pouvoir d’influencer l’abrogation de cette loi, mais ils n’agissent pas. Nous ne comprenons pas pourquoi.
L’année dernière, avant l’adoption de la loi, vous parliez de l’imposition de sanctions de visa à l’égard des acteurs facilitant l’adoption de la loi. Ces mesures n’ont pas été prises, n’est-ce pas ?
Pas du tout. En ce qui concerne les sanctions, seuls quelques pays, comme les États-Unis et le Royaume-Uni, les ont imposées. Mais par exemple, dans l’UE, nous n’avons pas eu ces interdictions de visa pour les personnes qui perpétuent la loi et qui continuent de persécuter les personnes LGBTQIA+ en Ouganda. Nous avons toujours des députés qui font des tournées en Europe, des chefs religieux qui ont ouvertement remercié le président de l’Ouganda d’avoir signé une loi, y compris une loi prévoyant la peine de mort.
En ce qui concerne la peine de mort pour la prétendue « homosexualité aggravée », quelqu’un a-t-il été condamné jusqu’à présent en Ouganda pour ce type d’accusations ?
J’ai entendu parler de deux cas d’accusations d’homosexualité aggravée. Cependant, dans ce contexte et compte tenu de la taille du pays, il est important de noter que la collecte de données précises auprès de la communauté LGBTQIA+. Ainsi, dans ce cas, j’ai eu au moins deux cas d’homosexualité aggravée, mais nous n’avons pas pu enregistrer de jugement quelconque, par exemple, d’un tribunal condamnant quelqu’un à la peine de mort ou à la réclusion à perpétuité.
Je peux confirmer que la loi reste largement intacte, avec seulement quelques sections supprimées par la cour constitutionnelle l’année dernière, que je considère comme une tentative de dissimuler la réalité de cette loi. Ils ont uniquement supprimé quelques lignes qui concernaient essentiellement la communauté hétérosexuelle, tandis que les sections qui violent les droits humains, y compris celles prescrivant la peine de mort et la réclusion à perpétuité, restent inchangées.
Lorsque la loi a été adoptée, comment les autres pays africains ont-ils réagi ?
Nous avons constaté que plusieurs pays ont emboîté le pas, depuis l’année dernière et l’adoption de la loi sur l’homosexualité en Ouganda. En ce moment, l’Ouganda est un modèle pour certains pays africains. Le Ghana envisage depuis un certain temps une loi similaire. Il y a environ deux ans que la loi ghanéenne anti-LGBTQIA+ a été introduite au parlement. Il y avait un enthousiasme significatif lorsque le parlement ougandais a adopté la loi, certains la voyant comme un modèle à suivre. Ils se demandaient pourquoi le Ghana ne pouvait pas faire de même, d’autant plus que l’Ouganda a adopté la loi en seulement quelques mois, tandis que le parlement ghanéen en débat depuis des années [NDLR : en février 2024, le parlement du Ghana a adopté la « Loi sur les droits sexuels humains et les valeurs familiales », avec des peines de prison pour les personnes qui s’identifient comme LGBTQIA+].
Le Kenya est en train d’introduire ce qu’ils appellent le projet de loi sur la protection de la famille au parlement. Je ne suis pas au courant de l’avancement de ce projet de loi, cependant, selon l’esprit, le timing et les arguments présentés, ils semblent être étroitement alignés avec la loi ougandaise.
La RDC, le pays le plus instable d’Afrique en ce moment, envisage également d’adopter une telle loi [NDLR : la RDC a également levé le moratoire sur la peine de mort en mars 2024, en place depuis 23 ans]. Félix Tshisekedi a appelé à tuer les personnes LGBTQIA+. Ainsi, vous pouvez voir que la loi ougandaise a créé une tendance.
Il est impératif de prioriser l’abrogation de cette loi en Ouganda. Son maintien, ainsi que les précédents néfastes instaurés par les actions de l’année dernière et les décisions récentes de la cour constitutionnelle, ne feraient qu’encourager d’autres pays africains à suivre le même chemin.
Quel serait le processus pour faire abroger la loi ?
L’année dernière, nous avons porté l’affaire devant les tribunaux. Je suis fier de dire que j’ai été parmi ceux qui sont allés en justice, aux côtés de Let’s Walk Uganda, l’organisation que je dirige, et d’autres activistes. Nous avons déposé une pétition auprès de la Cour constitutionnelle pour faire retirer ou annuler la loi au motif qu’elle violait les droits de l’homme, les lois internationales et d’autres motifs que nous avons invoqués. Malheureusement, cette année, en avril, la Cour constitutionnelle a confirmé la loi. De manière choquante, la Cour a jugé la peine de mort acceptable. Il est désolant que la Cour constitutionnelle d’Ouganda puisse justifier la réclusion à perpétuité pour simplement exprimer de l’amour ou de l’affection. Cette défaillance de la Cour constitutionnelle est une profonde déception et une trahison envers les populations marginalisées d’Ouganda. Cela établit un précédent profondément préoccupant.
Il reste encore un recours possible devant la Cour suprême, malgré la décision de la Cour constitutionnelle. Actuellement, nous nous préparons activement et avons entamé le processus de dépôt de notre dossier devant la Cour suprême. Je fais toujours partie de la pétition consolidée aux côtés de Let’s Walk Uganda et d’autres activistes. Il y a donc encore de l’espoir. Cependant, si nous échouons, il existe d’autres voies pour obtenir justice. Nous pouvons nous tourner vers des institutions comme la Cour de justice d’Afrique de l’Est, ainsi que divers organismes internationaux et africains. En dernier recours, nous pourrions même envisager de saisir la Cour pénale internationale. Mais pour le moment, nous essayons d’exploiter les options locales et nous espérons qu’elles vont nous sauver la vie, car nous sommes Ougandais et nous méritons vraiment d’être protégés en tant qu’Ougandais.
Quels moyens pouvons-nous utiliser, en tant qu’individus et en tant qu’organisations, pour vous aider dans ce combat ?
Ce que vous pouvez faire pour soutenir la communauté LGBTQIA+ en Ouganda, c’est continuer ce que vous faites actuellement : écrire sur la situation en Ouganda, en parler sur toutes les plateformes disponibles, vous solidariser avec la communauté LGBTQIA+ et élever votre voix chaque fois que vous le pouvez.
Il est essentiel que les pays de l’UE prennent les devants. Je vis en Allemagne et je suis constamment aux portes des ministères, avec mes collègues, plaidant avec détermination et conviction. J’ai la chance d’avoir une équipe formidable, un collectif d’environ 30 organisations formé l’année dernière, qui s’est uni pour créer une association dédiée à notre cause. Ils s’engagent activement auprès des ministères allemands, les exhortant à agir. Je crois qu’il est crucial que tous les pays européens suivent cet exemple et prennent position sur cette question. Ouvrons les portes aux réfugiés venant d’Ouganda, aux réfugiés LGBTQIA+. Soyons attentifs à ces personnes, aux personnes LGBTQIA+ dont la vie est en danger de mort. Des pays comme la France, l’Allemagne, le Danemark et les Pays-Bas peuvent faire la différence en ouvrant leurs portes aux réfugiés LGBTQIA+. L’Europe dans son ensemble a la capacité d’agir, et il est temps de passer à l’action.