À l’heure où la Russie menace si ce n’est l’ensemble du monde, tout au moins l’Europe et en premier lieu l’Ukraine, d’une invasion et même d’une destruction nucléaire, il faut se rappeler que Poutine a commencé son offensive il y a plusieurs années déjà, en démantelant petit à petit les derniers vestiges démocratiques du pays. En effet, les derniers contre-pouvoirs étaient assurés par la presse (en particulier Novaïa Gazeta et son rédacteur en chef Dmitri Mouratov, co-lauréat du prix Nobel de la paix 2021), qui a vu tant de journalistes assassinés (une pensée particulière à Anna Politkovskaïa[1]) et par les ONG. Le démantèlement et l’oraison funèbre en décembre dernier de la plus importante et historique ONG russe, Memorial International aura été le point de départ d’une entreprise bien plus large menant aux évènements actuels. Sa dissolution est le point d’orgue du tournant que nous vivons dans l’histoire de la Russie post-soviétique.
Mais quelle sera la suite de cette descente aux enfers poutinienne ?
Ces derniers jours, l’ancien président et chef du conseil de sécurité russe, Dmitri Medvedev, propose le retour de la peine de mort suite à la suspension de la Russie du Conseil de l’Europe. Un signal envoyé à la population, que pour assurer sa survie, le régime est prêt à prendre des mesures toujours plus radicales, en opposition même des écrits et engagements du héros de la littérature nationale, Fiodor Dostoïevski : « Tuer pour meurtre est une punition hors de proportion avec le crime même. Le meurtre d’un condamné est infiniment plus terrible que celui commis par un assassin » (L’Idiot, 1869).
Les masques tombent, le moratoire renouvelé d’année en année depuis 1999 ne serait ainsi qu’un prétexte pour assurer une certaine respectabilité à la Russie sur la scène internationale. On se doutait que, comme son satellite la Biélorussie qui instrumentalise la peine de mort dans ses relations avec l’Union Européenne, la Russie aussi n’avait pas choisi la voie de l’abolition pour se garder une arme de négociation. Nous verrons ce qu’il en sera dans les prochains jours, mais les bruits de canons ne sont pas propices à la raison et l’apaisement.
Mais pourquoi faire la comparaison entre la Russie et l’Iran, et surtout pourquoi maintenant ?Outre les similitudes de ces deux régimes, et une alliance objective, l’Iran partage avec la Russie l’obsession nucléaire (en particulier la menace de son utilisation pour anéantir leur voisin).
Pourtant, il est arrivé dernièrement une chose inhabituelle diplomatiquement parlant : la prise en compte des droits de l’Homme dans les relations entre l’Union européenne et l’Iran. En effet, le Parlement Européen a tout récemment adopté une résolution forte sur la peine de mort en Iran que nous avons, avec nos partenaires Impact Iran, Iran Human Rights, KMMK-G, salué comme il se doit. Cette résolution réaffirme enfin l’importance de la prise en compte du respect des droits de l’Homme dans les relations bilatérales qui, jusqu’alors, n’était vu que sous l’œil du business, de l’enrichissement nucléaire, ou des deux. L’exemple Russe nous a montré que le pire était possible si les fondamentaux des droits de l’Homme étaient totalement démantelés.
Cela fait de nombreuses années, que nous le clamons partout où cela est possible : nous devons d’abord parler droits de l’Homme et en particulier de l’abolition de la peine de mort avec les autorités iraniennes, afin d’être crédibles sur les autres sujets. L’un ne va pas sans l’autre. Ainsi, dans notre tribune dans Libération, en janvier 2016, en plein accord entre l’Iran et les pays du P+1 sur le nucléaire, nous demandions déjà aux autorités françaises : « Ne sacrifions pas les droits de l’homme pour des Airbus ». Nous étions peu à rappeler cette évidence !
Ce qui est vrai pour la Russie ou l’Iran, l’est bien évidement aussi pour des dictatures expansionnistes comme la Chine ou même dans nos relations avec le Sahel et la stratégie française dite des 3D : défense, diplomatie et développement. Rien sur la démocratie et sur les droits de l’Homme ? Il s’agirait peut-être de changer de paradigme aujourd’hui.
[1] Pour laquelle nous étions immédiatement descendus manifester notre écœurement avec André Gluksman, lors du rassemblement en sa mémoire, place de l’Hôtel de Ville à Paris le 7 octobre 2006 puis deux jours plus tard en face de l’ambassade russe