Suite à la récente confirmation par la Cour de cassation du Bahreïn de quatre condamnations à mort, six organisations internationales de défense des droits de l’homme, dont ECPM, lancent un appel au Roi Hamad bin Isa Al Khalifa, afin de commuer toutes les condamnations à mort actuelles et d’établir un moratoire officiel sur les exécutions.
Londres / Beyrouth – 11 août 2020
Appel conjoint – Bahreïn
Sa Majesté, le Roi Hamad bin Isa Al Khalifa, Royaume de Bahreïn
Suite à la récente confirmation par la Cour de cassation du Bahreïn de quatre condamnations à mort, nous vous écrivons pour vous demander instamment de commuer toutes les condamnations à mort actuelles et d’établir un moratoire officiel sur les exécutions.
Le 15 juin 2020, la Cour de cassation a confirmé les condamnations à mort de Husain Abdulla Khalil (« al-Rashed ») et Zuhair Ebrahim Abbas ; le 13 juillet 2020, elle a fait de même pour Mohamed Ramadhan Husain et Husain Ali (Moosa) Mohamed.
En vertu de l’article 328 du Code de procédure pénale, une fois qu’une condamnation à mort a été confirmée par la plus haute juridiction du Bahreïn, la Cour de cassation, le ministre de la justice renvoie l’affaire au roi pour avis conforme, afin que la peine de mort puisse être appliquée. Vous seul, Votre Altesse, pouvez commuer les peines pour sauver la vie des 12 hommes nommés ci-dessus.
La peine de mort est un châtiment cruel et irréversible. Nous pensons qu’elle n’est pas un moyen efficace de dissuader la criminalité et qu’elle est discriminatoire : elle tend à être appliquée de manière disproportionnée à l’encontre des minorités et des personnes issues de milieux socio-économiques défavorisés. Son application peut être soumise à une motivation politique. Nous pensons que votre décision de commuer toutes les condamnations à mort aurait un impact extrêmement bénéfique sur la société bahreïnienne en ces temps difficiles et contribuerait à promouvoir une culture où le droit à la vie est respecté.
Les résolutions successives adoptées par l’Assemblée générale des Nations unies ont appelé à plusieurs reprises les pays à déclarer un moratoire universel sur l’application de la peine de mort et à restreindre progressivement cette pratique en réduisant les infractions pour lesquelles elle pourrait être imposée, en vue de son abolition éventuelle. Au moment de la rédaction du présent document, Amnesty International classe 142 États dans le monde comme abolitionnistes de la peine de mort en droit ou en pratique. Nous demandons instamment à Bahreïn de se joindre à ce mouvement mondial.
Mis à part le fond de certains cas spécifiques, sommairement évalués dans une déclaration du Salam pour la démocratie et les droits de l’homme (SALAM DHR) d’avril 2018, nous rappelons que vous avez précédemment commué quatre condamnations à mort, prononcées par la Cour militaire de cassation, en peines de prison à vie (trois des individus, Fadhel Sayed Abbas Radhi, Sayed Alawi Husain et Mohamed AbdulHasan al-Mutaghawi étaient des civils ; Mubarak Adel Muhana était un militaire. La Cour militaire de cassation a condamné les quatre hommes pour intention d’assassiner le commandant général des forces de défense du Bahreïn).
Comme le gouvernement ne publie pas les noms des condamnés à mort, nous ne pouvons demander la commutation que pour les personnes dont les détails du cas sont largement connus. Ces affaires, ainsi que les dates chronologiques de confirmation de leur condamnation par la Cour de cassation, sont les suivantes :
1. Maher Abbas Yusuf (« al-Khabbaz ») – 29/01/2018
2. Husain Ebrahim Marzooq – 26/02/2018
3. Sayed Ahmed al-Abbar – 21/05/2018
4. Husain Ali Jasim – 21/05/2018
5. Salman Isa Salman – 04/06/2018
6. Mohamed Radhi Hasan – 25/02/2019
7. Husain Abdulla Marhoon – 20/05/2019
8. Moosa Abdulla Jaafar – 03/06/2019
9. Husain Abdulla Khalil – 15/06/2020
10. Zuhair Ebrahim Abdulla – 15/06/2020
11. Mohamed Ramadhan Husain -13/07/2020
12. Husain Ali (Moosa) Mohamed – 13/07/2020
Nous vous demandons de commuer les peines de mort de ces personnes ainsi que toutes les autres peines de mort prononcées dans le pays.
Signataires :
Amnesty International
ECPM – Ensemble Contre la Peine de Mort
Institut du Golfe pour la démocratie et les droits de l’homme
Groupe des droits de la région MENA
Organisation Mondiale Contre la Torture
Salam pour la démocratie et les droits de l’homme
Le Bahreïn est un État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
En janvier 2019, lors de sa 15e session, le Comité arabe des droits de l’homme (AHRC) a évalué la mise en œuvre de la Charte arabe des droits de l’homme par le Bahreïn. Dans les paragraphes 16 et 17 de ses observations finales, l’AHRC a noté que la Constitution ne contient pas de dispositions visant à protéger le droit à la vie tel que stipulé par l’article 5 de la Charte.
En novembre 2018, au paragraphe 31 de ses observations finales sur la mise en œuvre par Bahreïn du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité des droits de l’homme des Nations unies (CDH) a exprimé sa préoccupation quant au fait que la loi bahreïnienne autorise la peine de mort pour des infractions telles que le trafic de stupéfiants qui n’atteignent pas le seuil des « crimes les plus graves » (c’est-à-dire les homicides intentionnels).
Le CDH a exprimé son inquiétude quant aux allégations selon lesquelles « des condamnations à mort ont été prononcées sur la base d’aveux obtenus sous la contrainte ou la torture ou dans le cadre de procès qui ne répondaient pas aux normes [internationales] ». Le CDH a également appelé au rétablissement du moratoire sur la peine de mort et à l’adhésion de Bahreïn au deuxième protocole facultatif au Pacte, visant à abolir la peine de mort.
En janvier 2017, le Bahreïn a exécuté trois personnes : Sami Merza Mushaima, 42 ans ; Abbas Jamil al-Samea, 27 ans et Ali Abdul-Shahid al-Singace, 21 ans. Les autorités les avaient arrêtés ainsi que sept autres personnes, condamnées à la prison à vie, en relation avec la mort de trois policiers. En 2015, ils ont tous été condamnés à l’issue d’un procès inéquitable qui a utilisé des preuves obtenues sous la torture. Malgré cela, le Bahreïn a procédé à l’exécution des trois hommes le 15 janvier 2017.
Bien qu’aucune exécution n’ait été signalée en 2018, en juillet 2019, le gouvernement a exécuté Ali Mohamed al-Arab, 25 ans, et son Ahmed Isa al-Malali, 24 ans, aux côtés d’un travailleur migrant bangladais dont le nom ne semble jamais avoir été rendu public. Les tribunaux les ont condamnés à mort en raison de leur rôle présumé dans l’évasion de la prison de Jaw le 1er janvier 2017. Des fonctionnaires ont détenu Ali al-Arab en 2017, le torturant en détention.
Notre examen de ces cas remet en question l’engagement du gouvernement et le respect de la procédure régulière. Le 17 mai 2020, SALAM DHR a écrit par courrier électronique au bureau du médiateur du ministère de l’intérieur, remettant en question les preuves utilisées dans ces affaires et demandant au gouvernement bahreïnien d’indiquer la date précise à laquelle les accusés ont eu un accès effectif à une représentation juridique indépendante. Plus précisément, l’organisation a demandé au gouvernement de publier les rapports médico-légaux pour une évaluation indépendante dans les cas de (1) Maher Abbas Yusuf (« al-Khabbaz »), (2) Husain Ebrahim Marzooq, (3) Sayed Ahmed al-Abbar et (4) Husain Ali Jasim. Dans les cas de (5) Salman Isa Salman, (6) Mohamed Radhi Hasan, (7) Husain Abdulla Marhoon et (8) Moosa Abdulla Jaafar, SALAM DHR a demandé quand exactement chacun avait accès à une représentation légale effective. Au 27 juin, le Bureau du Médiateur n’avait pas répondu.
En ce qui concerne (9), Husain Abdulla Khalil (« al-Rashed »), les autorités l’ont arrêté le 30 décembre 2017 et l’ont accusé, ainsi que 22 autres personnes, d’avoir organisé deux attentats à la bombe dans les villages de Damistan et Karzakan les 8 et 9 décembre 2014, qui ont tué un policier et un civil bahreïni âgé et gravement blessé un travailleur migrant. Les autorités l’ont gardé presque entièrement au secret pendant plus d’un mois après sa détention, ne lui permettant que quelques brefs appels à sa famille pour leur dire qu’il était en détention. Les forces de sécurité qui l’ont détenu n’ont présenté aucun mandat d’arrêt ni de perquisition et n’ont pas pénétré dans la maison où il a été arrêté et l’ont frappé pendant sa détention. Husain Abdulla Khalil a été jugé par contumace avant son arrestation et on ne sait pas, à l’heure actuelle, quand, après sa détention, il a pu effectivement avoir accès à un avocat.
En ce qui concerne (10) Zuhair Ebrahim Abbas, le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste et le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ont écrit au gouvernement bahreïnien pour lui faire part d’allégations selon lesquelles, à la suite de sa détention le 2 novembre 2017, des fonctionnaires l’auraient détenu :
« […] En détention au secret pendant 55 jours et l’aurait soumis à des tortures et des mauvais traitements, notamment des coups, la nudité forcée et des agressions sexuelles. Sa femme a également été battue séparément à son domicile pendant que M. Abdullah était en détention. Des officiers l’ont également menacée avec une arme à feu et l’ont menacée de viol. Après 13 jours de torture, M. Abdullah aurait été contraint de signer de faux aveux pour un certain nombre d’accusations qui auraient été portées entre 2011 et 2017, notamment l’appartenance à une organisation terroriste, la fabrication et l’explosion d’explosifs, le ciblage des forces de sécurité et la participation au meurtre des forces de sécurité en posant ou en faisant exploser des explosifs ».
Le 29 novembre 2018, la quatrième Cour pénale supérieure l’a condamné à mort. Dans sa réponse aux rapporteurs spéciaux, Bahreïn déclare que « l’examen effectué par un médecin légiste n’a révélé aucune blessure compatible avec les allégations [du défendeur] », mais ne révèle pas les faits pertinents les plus élémentaires, comme la question cruciale du temps écoulé entre la période de torture alléguée et la date de l’examen*. Le Bahreïn déclare qu’il « a complété son enquête en interrogeant un membre des forces de sécurité publique qui avait interrogé le plaignant…. Comme il a nié l’allégation », l’affaire a été classée « en raison du manque de preuves ». Il est évident que des démarches aussi superficielles et non transparentes n’équivalent pas à une enquête sérieuse et approfondie.
Enfin, l’affaire contre (13) Mohamed Ramadhan Husain et (14) Husain Ali (Moosa) Mohamed est très imparfaite. Selon un témoignage crédible, qui a été corroboré dans la partie pertinente même par une agence du gouvernement bahreïnien (l’Unité d’enquête spéciale, ou SIU), les deux hommes ont été soumis à la torture – y compris des coups, la suspension des membres et l’électrocution – afin d’obtenir des « aveux ». Husain Ali Moosa a finalement été contraint de signer ces « aveux », mais Mohamed Ramadhan Husain ne l’a pas fait. Malgré la conclusion de l’Unité spéciale d’enquête selon laquelle une allégation crédible de torture avait été soulevée, l’arrêt de la Cour d’appel de Bahreïn sur le réexamen, maintenant confirmé par la Cour de cassation, a continué à maintenir que le tribunal de première instance avait accordé une confiance appropriée aux « aveux » de Husain Ali Moosa et a prétendu à tort que les aveux inexistants de Mohamed Ramadhan Husain étaient également des preuves crédibles, répétant une erreur de fait fondamentale qui apparaît à tous les niveaux de la procédure judiciaire. Nous notons en outre que, si le Bahreïn affirme aujourd’hui que l’enquête de la SIU et le réexamen de l’affaire en appel qui s’ensuit justifient son système judiciaire en tant que branche approfondie et indépendante du gouvernement, il n’a pas réussi à rendre publics ces documents pour qu’ils puissent être soumis à un examen critique approprié par des observateurs bahreïnis et internationaux.
Le 19 juillet 2020, le médiateur de Bahreïn a répondu à la demande de SALAM DHR de divulguer les documents et dates clés de ces affaires en déclarant que tous les aspects de toutes les affaires dont son bureau a été saisi étaient « hors de son ressort ». Le statut régissant le travail du Médiateur lui donne en fait le mandat d’examiner tous les actes illégaux allégués à l’encontre des employés du ministère de l’intérieur.
* Comme l’indique la norme professionnelle pertinente, « la plupart des lésions guérissent en six semaines environ après la torture, ne laissant aucune cicatrice ou, tout au plus, des cicatrices non spécifiques…. Les tortionnaires [peuvent] utiliser des techniques qui empêchent ou limitent les signes de blessure détectables. Dans de telles circonstances, l’examen physique peut se situer dans les limites normales, mais cela n’annule en rien les allégations de torture ». Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Protocole d’Istanbul : Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et établir la réalité de ces faits, Série sur la formation professionnelle n° 8, Rev. 1 (New York, 2004), par. 172, p. 34.