Edward Mutebi est un militant ougandais, fondateur de Let’s Walk Uganda et cofondateur de The World is Watching International. Il réside actuellement en Allemagne et est membre de Queer Amnesty à Berlin. Alors qu’il était encore en Ouganda, il s’est mobilisé pour la communauté LGBTQIA+ de nombreuses façons, en commençant par ouvrir une organisation en 2015, Let’s Walk Uganda ; la toute première organisation déclarée proposant des foyers pour les personnes LGBTQIA+ en Ouganda et visant à soutenir les membres de la communauté, en particulier les sans-abri, en renforçant leurs compétences pour leur permettre de subvenir à leurs propres besoin et en leur fournissant un soutien juridique en partenariat avec des organisations médicales et autres, afin d’atteindre la communauté queer.
Quelle était la situation des droits des personnes LGBTQIA+ en Ouganda juste avant l’adoption du projet de loi anti-homosexualité par le Parlement ?
Avant ce projet de loi, la situation était déjà critique. Ce n’est pas la première fois que le gouvernement ougandais introduit une loi aussi draconienne et violente pour notre communauté. Comme nous l’avons vu en 2009, le gouvernement avait déjà introduit le projet de loi anti-homosexualité. La loi a été discutée au parlement, jusqu’à ce qu’elle soit adoptée en 2013. Elle est ensuite entrée en vigueur après avoir été signée par le président vers le mois de janvier, je crois, en 2014.
La loi a été appliquée pendant un certain temps avant d’être annulée par la Cour constitutionnelle pour des raisons techniques mais depuis 2014, les persécutions se poursuivent. Différents types de persécution ont eu lieu, mais en silence. Je pense à l’attaque contre un bar, « The Ram Bar », un point de rencontre pour les personnes LGBTQIA+ en Ouganda dans le centre-ville. Le gouvernement a réussi à le trouver et l’a attaqué 2019. Ils ont arrêté un nombre massif de personnes, des centaines, et ils leur ont fait subir de mauvais traitement en garde à vue. Certaines d’entre elles sont allées en prison, tandis que d’autres ont pu être libérées. En décembre 2019, mon organisation, Let’s Walk Uganda, a été attaquée par la police et les services de sécurité. Ils ont fait irruption dans nos bureaux et nos foyers et ont arrêté 16 personnes, y compris le personnel de l’organisation et les occupants des foyers, puis ils les ont emmenées et torturées en garde à vue. Ils les ont soumis à des examens et leur ont fait subir de nombreuses intimidations. Au bout d’un certain temps, ils les ont relâchés.
L’année suivante, une autre organisation a été attaquée, puis la suivante, encore une autre. Depuis 2014 et jusqu’à aujourd’hui, nous recensons les décès inexpliqués de personnes LGBTQIA+. On les retrouve battues à mort dans leur maison et le gouvernement n’a jamais soumis de rapport pour expliquer ces décès.
Les persécutions existaient donc déjà, mais en silence. Cette loi, l’introduction du projet de loi anti-homosexualité de 2023, n’a fait qu’attiser la haine et montrer au grand jour ce qu’il se passe dans notre pays.
Dans quelle mesure cette loi est-elle contraire à la constitution ougandaise ?
De nombreux droits sont violés par cette loi, la liberté d’expression et la liberté d’association notamment. L’un des droits les plus ouvertement violés est le droit de consentir à des relations sexuelles. En vertu de cette loi, le concept même de consentement est menacé : tant que vous avez 18 ans, si vous êtes pris en train d’avoir une relation homosexuelle, même non consensuelle, vous pouvez être poursuivi en justice.
Un autre droit qui est violé est le droit au logement. En vertu de la nouvelle loi, toute personne qui donne un toit à une personne LGBTQIA+ fera l’objet de poursuites. Si on lit entre les lignes, ils veulent nous mettre à la rue. Dans mon pays, les personnes homosexuelles ont déjà des difficultés pour accéder à la propriété, ils sont censés louer des endroits pour se loger. Donc, si vous poursuivez une personne qui est censée me louer une maison, cela signifie simplement que vous me privez de tous mes droits en matière de logement. Il existe également une clause relative aux soins médicaux portés à toute personne de notre communauté ; toute personne qui nous fournit des services est passible de poursuites. Les gens ont donc peur d’aller chez le médecin, parce qu’ils craignent des poursuites s’ils se confient sur leur orientation sexuelle. Nous voyons donc que l’accès aux soins médicaux est totalement compromis, ce qui peut entraîner une hausse du VIH et d’autres maladies.
Il y a donc un certain nombre de droits qui sont violés dans ce projet de loi, mais je voudrais également souligner que le droit à la vie est également violé. Le projet de loi actuel stipule que toute personne prise en flagrant délit d’ « homosexualité aggravée » est passible de la peine de mort. Un génocide va se produire dans mon pays parce que certains membres du clergé et certains chefs religieux se sont ouvertement exprimés pour appeler à la mort, pour appeler à la décapitation !
Comment soutenir la communauté LGBTQIA+ ougandaise en tant que Français, en tant que ressortissants d’un pays étranger ou en tant que membres de la communauté internationale ? Quels seraient les meilleurs moyens d’aider, de soutenir et de sensibiliser ?
La sensibilisation est la première chose à faire. Les dégâts sont déjà très importants, nous ne savons donc pas ce qui se passera si la loi est signée. Nous sommes très inquiets. La communauté internationale ne peut que nous aider à défendre le droit, à défendre le peuple ougandais, qui est acculé et précarisé.
Nous demandons à la communauté internationale de faire respecter les lois internationales qui prévoient également la responsabilité de protéger (R2P). Et si cette loi est promulguée, je demande à tous les pays, aux pays occidentaux, d’imposer toutes les sanctions possibles au pays, au gouvernement ougandais, jusqu’à ce qu’ils ressentent la pression, jusqu’à ce qu’ils ressentent notre douleur et ne soutiennent plus cette loi.
J’appelle également les gouvernements occidentaux à refuser de délivrer des visas aux fonctionnaires qui ont fait adopter ce projet de loi par le parlement.
Soutenez le peuple ougandais de cette manière. C’est le seul type de pression que nous pouvons exercer sur le gouvernement ougandais, car c’est par la pression qu’il apprend et écoute.
Le projet de loi prévoit également que les mineurs de moins de 18 ans soient arrêtés et passibles de trois ans de prison s’ils ont des relations homosexuelles. Imaginez que vous soyez un enfant de 16, 14 ou 11 ans et que l’on vous vole trois ans de votre vie simplement à cause de votre orientation sexuelle ou votre genre. Voilà à quel point c’est grave. C’est pourquoi je lance également un appel aux organisations de protection des droits des enfants et aux organisations internationales. Elles doivent agir, on ne parle pas que des adultes dans ce projet de loi, les mineurs sont aussi menacés.
Quelle est l’opinion du grand public sur les personnes LGBTQIA+ ?
C’est difficile à dire, d’autant qu’il y a beaucoup de désinformation sur les personnes LGBTQIA+. Les médias, les pasteurs disent que les homosexuels sont des pédocriminels, des violeurs, qu’ils recrutent de jeunes enfants pour qu’ils deviennent homosexuels. C’est le discours que l’on entend dans la communauté. Le problème, c’est que nous n’avons pas organisé de contre-récit pour s’opposer aux récits dominants ou hégémoniques qui véhiculent des idées ou des stéréotypes négatifs sur notre communauté.
Mais il n’y a rien de tel qu’un contre-récit du côté des personnes LGBTQIA+. Nous devons donc développer des stratégies de contre-récit qui peuvent éliminer la désinformation et la propagande négatives diffusées à propos de la communauté, puis solliciter l’opinion publique sur la communauté LGBTQIA+. Il ne faut pas oublier que les personnes LGBTQIA+ sont des membres de la famille, des frères, des sœurs, des fils et des filles de ceux qui font les lois.
En ce qui concerne les autres pays d’Afrique, pensez-vous que l’Ouganda fait un pas en arrière ? Ou s’agit-il d’une tendance à la régression des droits en général, ou qu’en pensez-vous ?
En fait, d’après les statistiques mondiales, ce projet de loi est le pire criminalisant les personnes ayant des relations sexuelles avec des personnes du même sexe est très brutal, prévoit la peine de mort, l’emprisonnement à vie, l’emprisonnement des mineurs, tant de choses qui criminalisent même les prestataires de services essentiels comme les ONG. Le cadre juridique est très large et très violent, très injuste, très anticonstitutionnel, très mauvais sur le plan international. L’Ouganda a commencé à reculer en termes de droits humains non pas aujourd’hui, ni hier, mais il y a des années, depuis 2009, lorsqu’ils ont introduit cette loi pour la première fois. Encore une fois, il y a tant de maux dans le pays. Des gens disparaissent. Des gens sont tués. Des personnes sont en prison pour des raisons politiques depuis des années. La pauvreté sévit dans tout le pays. Le coût du carburant et le coût de la vie sont élevés, et la corruption atteint des sommetsCe sont des choses dont nous sommes censés discuter au parlement. Mais le gouvernement a décidé de s’immiscer dans nos chambres à coucher. Ma culture est très réservée lorsqu’il s’agit de parler de sexualité. Alors si le gouvernement se targue de respecter la culture ougandaise, il ne devrait même pas remettre en question notre intimité.
Au début de cette année, le gouvernement ougandais a publié une liste d’organisations qui, selon lui, recrutaient, promouvaient et propageaient l’homosexualité en Ouganda. Let’s walk Uganda faisait partie de ces organisations accusées à tort par le gouvernement. Les débats parlementaires sont suivis par de nombreuses personnes, y compris des enfants et des personnes qui n’avaient aucune idée de l’homosexualité, mais qui savent maintenant que notre parlement a accordé beaucoup d’attention à la question et l’a utilisé à son avantage. L’attention accordée par les médias tout au long de la présentation du projet de loi jusqu’à aujourd’hui est une promotion suffisante et une promotion faite par le gouvernement lui-même.
Je mets au défi les chefs religieux en Ouganda, ces « hommes de Dieu » qui se sont manifestés avec force pour soutenir le projet de loi. Certains, d’entre eux ont appelé à la décapitation des personnes LGBTQIA+, comme l’a indiqué un chef musulman. Je défie les chefs religieux d’utiliser la même énergie pour condamner les violations des droits de l’enfant, la corruption, les enlèvements par le gouvernement, le manque d’accès aux soins, la pauvreté, la torture parmi les innombrables maux que vous taisez tout en vous empressant de condamner l’AMOUR.
J’en appelle également à la communauté internationale pour qu’elle soutienne les organisations communautaires qui sont en première ligne pour apporter tout le soutien et les services possibles à la communauté LGBTQIA+ dans ces situations très préoccupantes.
À travers la campagne « S’aimer n’est pas un crime » ECPM dénonce les discriminations sexuelles et exhorte les pays qui condamnent à mort à les dépénaliser. L’association dénonce également les pays ayant une législation ouvertement homophobe. Affirmer et vivre librement son orientation sexuelle n’est pas un crime et ne devrait nullement avoir sa place dans un Code pénal ! Pourtant, en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie, les législations continuent de réprimer l’homosexualité.