Le 9 octobre dernier, à l’occasion de la 19e Journée mondiale contre la peine de mort, le ministère de la Justice de Mauritanie a montré des signes d’ouverture en invitant les magistrats à la projection du film documentaire de Layth Abdulamir, La Larme du Bourreau, organisée par l’AMDH et ECPM : il s’agissait du premier évènement faisant apparaitre le terme « peine de mort » de manière explicite. Qu’est-ce qui vous a motivée à vous engager ?
Dans ma profession, j’ai défendu des personnes condamnées à mort, visité des milieux sociaux très difficiles à comprendre et à accompagner, car ce sont des gens démunis, qui n’ont pas les moyens de se défendre, et j’avais l’impression que la justice n’était pas faite pour ces gens-là. Je voulais être de celles qui se battent pour que ça change, pour qu’il n’y ait plus d’inégalités sociales. Il n’y a pas de raison pour que l’on catégorise un certain nombre de personnes car elles n’ont pas l’opportunité de réussir dans la vie, de s’engager, de se créer un monde meilleur, alors que d’autres ont la possibilité d’émerger.
Qu’est-ce que signifiait pour vous, à l’époque, de devenir avocate ? À quel âge avez-vous passé le barreau ?Je suis arrivée au barreau à 32 ans. Normalement, j’aurais dû y arriver avant, mais il y a eu un accident de parcours : je suis allée en prison suite à mes engagements sociopolitiques en tant qu’étudiante. Mon jeune frère et moi étions très engagé.e.s dans le combat estudiantin pour l’égalité des chances en Mauritanie. Notre génération s’est inspirée des Soixante-huitards, des combats de Steve Biko, Nelson Mandela, Martin Luther King, etc. Ce sont vraiment des combats politiques qui inspiraient la jeunesse africaine.
Dans un pays comme la Mauritanie, c’est très difficile car nous avons côte à côte des composantes très différentes : nous sommes tous et toutes musulman.e.s, mais nous avons des réalités sociotraditionnelles qui ne sont pas les mêmes. Nous voulions une Mauritanie unie et égalitaire, où toutes les filles et tous les garçons se retrouvent sur un même pied d’égalité et reçoivent le même traitement. Nous nous sommes battu.e.s pour que l’arabe et le français soient considérés au même niveau, c’est-à-dire qu’on ne privilégie pas ceux ou celles qui parlent uniquement l’arabe, car on nous l’imposait comme langue prioritaire, et on continue de se battre pour ça aujourd’hui. Il est vrai que le français n’était pas notre langue maternelle, mais pour nous il s’agissait d’une langue passionnante, de fusion, où tous les enfants mauritaniens se retrouvaient : on communiquait tous et toutes en français, qu’on parle soninké, wolof, poular, etc., par ailleurs, même si chacun voudrait que sa langue soit reconnue et respectée.
Fatimata M’Baye Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la situation des droits de l’homme en Mauritanie ? Quelle est la situation de la peine de mort en Mauritanie aujourd’hui ?Lorsque j’étais étudiante, de 1982 à 1984, sous le régime militaire, on appliquait la charia, il y avait donc des exécutions publiques tous les vendredis, les flagellations des femmes, les lapidations, ce sont des choses que l’on a vécues et qui ont laissé une profonde blessure parmi la population. On constatait que c’était toujours les plus pauvres qui étaient exécutés, sanctionnés sévèrement pour avoir volé une paire de chaussures, une miche de pain… Les femmes accusées de fornication étaient rasées et lapidées publiquement dans les stades, qui sont des lieux de divertissement étaient devenus des arènes d’exécution des peines infamantes.
« Les personnes condamnées à mort vivent avec la menace de la levée du moratoire, et de toute manière, on les condamne à mourir à petit feu entre les murs des prisons. »
Est-ce que vous pensez que la population mauritanienne est prête à ce changement important ?
Sur la question de la peine de mort, le public mauritanien est très mitigé. La Mauritanie est un pays multiethnique, même si nous sommes tous et toutes réuni.e.s autour de la religion musulmane, où la peine de mort est un dogme prévu par le Coran. Il est aujourd’hui très difficile de trouver des gens qui s’engagent à s’attaquer à ce dogme-là, mais lorsqu’on leur en parle sous l’angle du droit à la vie, ils sont d’accord. Si on en parle directement, c’est compliqué et c’est la raison pour laquelle le gouvernement se cache derrière ce dogme, en disant que cela reviendrait à remettre en question le Coran.
Pourtant, tout le monde est d’accord qu’il faut sauver la vie et qu’il n’y a aucun mobile qui permette d’attenter à la vie. Certains cas pourtant restent des dilemmes, et certain.e.s restent campé.e.s sur leurs positions : par exemple, lorsque les femmes sont inculpées de zina (adultère) elles sont lapidées, si elles ne sont pas mariées, elles sont inculpées pour fornication et subissent 80 coups de fouet. En cas d’homicide volontaire, c’est la peine de mort mais parfois il y a un pardon : dans ce cas-là, c’est la triple peine puisqu’il faut payer une amende, subir 100 coups de fouet et passer un à deux ans en prison. Parfois, il y a décision extrême, sur laquelle on ne peut pas revenir : l’application de la peine de mort.
La question du viol a suscité des remous au sein de la société mauritanienne parce qu’il s’agissait de viols suivis d’assassinats, particulièrement de jeunes femmes et de petites filles, et même le milieu associatif a demandé à ce que la peine de mort soit appliquée.
Ensuite, il y a tout ce qui touche à la religion, et donc à la liberté d’expression. Certains domaines relatifs à la religion, aux personnages religieux, au prophète, sont appelés intouchables. Notre ami Mohamed Ould Mkhaitir en a fait les frais, et avait été condamné à la peine de mort pour apostasie. La jeunesse n’ose pas s’engager sur ce terrain-là de peur d’être traité d’athée ou tout simplement d’avoir commis des hérésies et d’être condamné à la peine de mort. Ce sont des questions très taboues, même parmi les avocat.e.s qui défendent ces personnes, car parfois nous sommes visé.e.s et condamné.e.s à la peine capitale.
Illustration of Mohamed Mkhaïtir by Mido – © Mido Qu’est-ce qui continue de vous motiver comme au premier jour ?En plus de cela, j’ai moi-même perdu un jeune frère qui a été tué. Il était en classe de troisième, il allait passer le brevet, il avait quatorze ans. Nous étions très poches. Je me souviens que dans un premier temps, la famille de la personne qui l’avait tué ne s’est pas excusée. À l’époque, j’étais en première année à la faculté de droit. Au cours de la procédure, ils ont banalisé les faits. Lorsqu’ils sont finalement venus à la maison pour demander le pardon, ma mère, malgré toute sa douleur et le choc qu’elle avait subi, leur a dit : « Je vous pardonne. » Elle n’a rien demandé en retour. Je sais qu’au fond d’elle, c’est un choc qu’elle emportera dans sa tombe. Jamais elle n’oubliera les conditions dans lesquelles elle a perdu cet enfant qu’elle aimait tant. Pour ma part, je sais que si je n’avais pas été à l’école, si je n’avais pas reçu d’éducation, peut-être que j’aurais souhaité la peine de mort.
J’ai toujours été contre l’injustice, je le sens au fond de moi, ça a toujours été comme ça. Je dis toujours qu’il y a des situations que l’on ne choisit pas. Certaines personnes n’ont pas eu la chance d’être bien conseillées, appuyées, épaulées, pour ne pas commettre ce crime. Pour moi, les droits de l’homme sont nécessaires dans notre vie.
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