Par Raphael Chenuil-Hazan, Directeur général d’ECPM
Cette tribune a été publiée dans la version numérique du journal Le Monde le 2 mai 2019.
Après l’affaire Jamal Khashoggi, le royaume saoudien s’est retrouvé au pied du mur. Etre au ban des nations, ne plus regarder vers l’avenir et ne voir qu’impies, ennemis, opposants, dissidents, terroristes à abattre ou à éliminer, quel qu’en soit le prix.
Une autre possibilité eut été le choix d’une certaine ouverture (peut-être progressive au début) mais réelle, sincère et visible. Malheureusement ce ne fût pas le chemin choisi.
Les spadassins du royaume ont beau porter partout la voix de Riad, le temps du pouvoir pétrolier et monétaire prend fin. Hier, le secteur privé international se battait pour commercer avec l’Arabie saoudite quel qu’en soit le prix, aujourd’hui, il se bouche le nez, demain il aura honte.
J’ai pour ma part été (comme d’autres dirigeants d’ONG internationales) approché à plusieurs reprises par la diplomatie saoudienne. J’ai eu l’occasion de les rencontrer, notamment au sein de leur ambassade à Bruxelles en novembre dernier pour aborder avec eux l’avenir, le dialogue et l’engagement de la politique du Prince héritier Mohammed Bin Salman (MBS) en ce qui concerne l’application de la peine de mort.
Ils me disaient que les choses avançaient, bougeaient dans un environnement tribal et ultra-conservateur qu’il fallait prendre en compte. Je leur ai moult fois répondu qu’au-delà des incantations, il fallait des actes, des preuves, des symboles ; que cette bonne volonté affichée ne soit pas juste un élément d’un plan de communication bien huilé. Ma position a toujours été claire : la porte est toujours ouverte, si tant est que vous vouliez l’entre-ouvrir !
Les exécutions massives de ces derniers jours (36 décapitations et une crucifixion le 23 avril et plus d’une centaine d’exécutions depuis le début de l’année 2019) ont fini de refermer cette porte à double tour.
Le monde doit en prendre acte, mais la paralysie (ou l’hypocrisie) continue de régner au sein des nations et particulièrement à l’ONU à Genève ou à New-York. L’Europe politique n’est pas assez forte pour porter cette disgrâce. Il en revient donc aux citoyens du monde de le faire savoir, de Paris à Casablanca, de Washington à Jakarta.
Les victimes de la peine de mort en Arabie saoudite doivent avoir un visage. Ce sont des jeunes, des femmes, des hommes issus des minorités (shiites) ou des populations les plus vulnérables (pauvres, migrants-travailleurs d’Asie). Comment ne pas penser à Tuti Tursilawati, femme de ménage indonésienne exécutée en octobre dernier pour avoir tué son employeur alors qu’il essayait de la violer, ou à Mujtaba al-Sweikat, jeune adolescent arrêté alors qu’il n’avait que 17 ans pour avoir participé à une marche pro-démocratie et décapité le 23 avril , ou encore à cette jeune nigériane exécutée début avril pour trafic de drogue au côté de deux pakistanais et un yéménite
Je pense également à Israa al-Ghomgham, militante des droits de l’homme, et au jeune bloggeur Ali-Al-Nimr (neveu de Nimr Baqr al-Nimr, un prédicateur chiite connu exécuté en 2016) toujours sous le joug de la peine de mort. Je pense à Loujain al-Hathloul, jeune défenseuse des droits des femmes torturée en prison. Enfin je pense à Raïf Badawi, celèbre blogueur qui entame sa 10e année de prison après avoir reçu de nombreux coups de fouets pour son combat pour la liberté d’expression.
Parce qu’ils ont des visages, celui de l’injustice, et que l’Arabie saoudite revêt celui de la barbarie.
L’Arabie saoudite est devenue l’alliée objective de Daesh. Ils partagent la même vision du monde fondée sur le rejet de l’altérité et de la liberté d’expression, et sur l’usage de la terreur comme unique vision du monde, la peine de mort comme instruments.