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Élection présidentielle américaine: la peine de mort toujours en débat

Les exécutions sont en déclin aux États-Unis, mais le recours à la peine capitale continue de séduire une bonne partie des Américains. Pour l’ensemble des États-Unis, l’appui à la peine de mort est passé de 80 % en 1994 à 53 % en 2023, selon les plus récents sondages de la firme Gallup.
La carte des États-Unis en fonction du statut des états: bleu (abolitionniste), orange (en moratoire) et rouge (rétentionniste) – Source : carte interactive ECPM

Même si elle reste une peine possible dans 27 États, 6 d’entre eux ont décidé d’y mettre officiellement une pause. Dans les faits, une petite minorité d’États l’applique réellement.

Le nombre de condamnations à mort est passé de 166 en 2022 à 21 en 2023. Mais plus de 2200 personnes étaient toujours dans le couloir de la mort à la fin de l’année 2023 – plus du quart se trouvait en Californie, où le gouverneur a signé un moratoire en 2019.

Si plusieurs démocrates déplorent que Joe Biden n’ait pas tenu sa promesse d’abolir cette sanction pour les crimes fédéraux admissibles, des conservateurs poussent une possible administration Trump à mettre les bouchées doubles pour exécuter ces condamnés en cas d’élection.

Quelles sont les positions de Donald Trump et de Kamala Harris sur la question ?

Donald Trump n’a jamais caché son soutien à la peine de mort, qu’il souhaite voir appliquée à un plus grand nombre de crimes. Lors de son passage à la Maison-Blanche, les protocoles ont été modifiés pour faciliter les exécutions pour les condamnés à mort de crimes fédéraux. Un groupe de conservateurs républicains a publié un «plan de transition» en cas de victoire de Donald Trump, le Project 2025. Ils y demandent qu’en cas d’élection, l’administration devra tout faire en son pouvoir pour exécuter les 44 prisonniers fédéraux actuellement dans le couloir de la mort.

Kamala Harris est, quant à elle, demeurée totalement silencieuse sur le sujet durant toute la campagne et la question ne figure pas dans son programme électoral. Lors d’un discours d’investiture prononcé en 2004 après son élection au poste de procureur de San Francisco, Mme Harris s’était engagée à «ne jamais requérir la peine de mort». Elle a présenté son choix comme une décision morale. Depuis son positionnement sur la peine de mort n’a fait que fluctuer en fonction des circonstances auxquelles elle a été confrontée en tant qu’élue.

Le point de vue d’un expert

Adriano Martins est un ancien fonctionnaire de l’Union Européenne (1986 à 2022) ayant assumé diverses responsabilités : Directeur par intérim de l’Agence Européenne de Reconstruction des Balkans, Ambassadeur adjoint de l’UE pour la Serbie, Chef adjoint de la Division en charge des relations politiques avec les six pays du Partenariat Oriental et les cinq dernières années en charge d’actions de l’UE pour les droits humains, y compris de la politique externe de l’UE en faveur de l’abolition de la peine de mort.

Adriano Martins, Administrateur ECPM
Peine de mort pour abus sexuels sur enfants et erreurs judiciaires en Floride et au Tennessee

Mots-clés : peine de mort, erreurs judiciaires, abus sexuels des enfants, Floride, Tennessee

Résumé : En 2023, la Floride, un État américain connaissant un taux élevé d’erreurs judiciaires, a éliminé l’exigence de l’unanimité du jury pour une condamnation à mort. Aucun des rares États américains qui recourent encore à la peine de mort n’est allé aussi loin. Dans le même temps, le même État, suivi par le Tennessee en mai 2024, a étendu le recours à la peine de mort aux cas d’abus sexuels sur des enfants pour lesquels aucun décès n’a eu lieu, un domaine où les erreurs judiciaires sont particulièrement fréquentes. En outre, le recours à la peine de mort à cette fin méconnaît de manière flagrante un arrêt de la Cour suprême des États-Unis de 2008 et ignore l’opinion des associations de professionnels sociaux qui ont attiré l’attention sur le préjudice que l’imposition de la peine de mort pour le viol d’enfants cause en réalité à ces mêmes enfants qu’elle serait présumée aider.

Les erreurs judiciaires

Depuis la réintroduction de la peine de mort en 1976 jusqu’à fin 2023, 105 personnes ont été exécutées en Floride et 30 ont été innocentées. Il s’agit d’un taux effroyable : un condamné à mort innocenté pour 3,5 exécutés. Innocenter un condamné à mort est le résultat d’années d’appels et de batailles juridiques, qui ont abouti à une erreur judiciaire officiellement reconnue, à l’annulation de la condamnation à mort et, dans certains cas, à une coûteuse compensation financière de la part de l’État. Le nombre de condamnés reconnu innocents ne représente pas le nombre total d’innocents envoyés à tort dans le couloir de la mort. Tous les innocents ne sont pas en mesure de rassembler les preuves nécessaires pour annuler une condamnation injustifiée. Et tous ne sont pas représentés par un avocat expérimenté et compétent. Des innocents sont donc exécutés. Le Centre d’information sur la peine de mort (DPIC en anglais) a publié une liste de cas [1], mais déterminer ou estimer leur nombre total est une mission impossible car les enquêtes sont arrêtées après une exécution.

C’est une terrible injustice et une expérience traumatisante que d’être faussement accusé et condamné à une peine de prison. Mais c’est encore pire quand la sentence est la mort : être jeté dans le couloir de la mort, en attendant le jour où l’État censé protéger ses citoyens viendra vous tuer pour un crime que vous n’avez pas commis. Il n’est pas surprenant que beaucoup appellent cela une forme de torture. Parler des horreurs de cette injustice sans au moins mentionner quelques noms, sans donner quelques exemples concrets, c’est presque comme apprendre à nager sans aller dans l’eau.

Robert DuBoise [2] est l’un de ces 30 cas d’erreurs judiciaires flagrantes en Floride. Reconnu coupable de meurtre qualifié et de tentative d’agression sexuelle, il a été condamné à mort sur la chaise électrique. Innocenté après 37 ans d’emprisonnement injustifié, il a intenté une action en justice contre la ville de Tampa, contre quatre policiers qui ont enquêté sur l’affaire et contre le dentiste légiste qui a déclaré que ses dents correspondaient à une prétendue marque de morsure de la victime. DuBoise a gagné le procès. La ville de Tampa, en Floride, paiera 14 millions de dollars [3] de dommages et intérêts, dont 9 millions de dollars en 2024, 3 millions de dollars l’année suivante et 2 millions de dollars en 2026.

Clifford Williams [4] est un autre exemple de ces 30 condamnations injustifiées en Floride. Il a fallu 42 ans de détention dans le couloir de la mort pour que le système judiciaire conclue que les preuves physiques et scientifiques contredisaient réellement les témoignages sur ce qui s’était passé. Sa mère est décédée alors qu’il se trouvait dans le couloir de la mort. Il n’a pas vu grandir ses deux enfants. Williams n’a pas beaucoup profité de la compensation financière qu’il a reçue. On lui a diagnostiqué un cancer peu après sa sortie de prison et il est décédé 5 ans plus tard, à l’âge de 80 ans, en janvier 2024.

Le gouverneur républicain George Ryan, faisant référence aux 13 erreurs judiciaires survenues dans son État (l’Illinois), a déclaré : « Que cela se produise ne serait-ce qu’une seule fois est injuste. Que cela se produise treize fois est honteux et inimaginable ». Eh bien, en Floride, ce n’est pas 13, c’est 30. Deux fois plus « inimaginable » [5].

Le taux élevé d’erreurs judiciaires dans l’Illinois a conduit à l’abolition de la peine de mort dans cet État. Vingt-deux autres États américains ont fait de même. En Floride, où le nombre d’erreurs judiciaires était deux fois plus élevé que dans l’Illinois, les condamnations à mort ont été facilitées. La Floride a abaissé le seuil permettant à un jury de recommander la peine de mort de l’unanimité à une majorité de 8 contre 4 : l’exigence la plus basse pour les jurys aux États-Unis. Selon le Centre d’Information sur la Peine de Mort (DPIC) [6], dans 90 % des innocentations, un jury non unanime a recommandé la peine de mort. Cela signifie que des jurys non unanimes sont responsables de 9 cas sur 10 de personnes innocentes envoyées dans le couloir de la mort. Néanmoins, c’est la décision de la Floride à partir de 2023.

Dans l’État de Floride, qui a l’un des pires historiques d’erreurs judiciaires aux États-Unis, l’abaissement du seuil des recommandations du jury en faveur de la peine de mort ouvre non seulement la voie à davantage d’erreurs à l’avenir et à davantage d’innocentations, mais cela coûtera également plus cher à l’État en compensations financières. Mais, plus important encore, du point de vue humain, davantage d’innocents seront envoyés dans le couloir de la mort pour vivre pendant des années dans la peur atroce d’attendre d’être tués, des années avec le traumatisme psychologique d’être injustement dans le couloir de la mort, perdant la présence et l’affection de leurs proches, et perdant de précieuses années de travail et des carrières professionnelles potentielles.

Le Tennessee, le seul autre État américain à avoir étendu la peine de mort aux abus sexuels sur enfants, en mai 2024, a en fait suspendu les exécutions depuis avril 2022 : « Le grand nombre de problèmes et l’ampleur des problèmes rencontrés par le Tennessee pour se conformer à son protocole soulèvent des questions importantes quant à la compétence de l’État à appliquer la peine de mort » [7]. Une étude publiée en 2018 sur la peine de mort au Tennessee concluait que le système de peine capitale de l’État était « une loterie cruelle » et « criblée d’arbitraire » [8].


[1] https://deathpenaltyinfo.org/policy-issues/innocence/executed-but-possibly-innocent

[2] https://www.law.umich.edu/special/exoneration/Pages/casedetail.aspx?caseid=5807

[3] Man Wrongfully Imprisoned for 37 Years to Receive $14 Million From City of Tampa – The New York Times (nytimes.com)

[4] https://deathpenaltyinfo.org/news/florida-man-exonerated-42-years-after-wrongful-conviction-and-death-sentence

[5] https://www.pewresearch.org/religion/2002/06/03/governor-george-ryan-an-address-on-the-death-penalty/

[6] https://deathpenaltyinfo.org/news/dpic-analysis-exoneration-data-suggests-non-unanimous-death-sentencing-statutes-heighten-risk-of-wrongful-convictions

[7] Robert Dunham, executive director of the Washington-based nonprofit Death Penalty Information Center. https://apnews.com/article/politics-executions-tennessee-e4c90328bb6317c11bd98bf9dcdeb68a

[8] https://trace.tennessee.edu/tjlp/vol13/iss1/4/

Les abus sexuels sur enfants

En 2023, la Floride a adopté une loi élargissant le recours à la peine de mort pour inclure les agressions sexuelles sur un enfant, même dans les cas où aucun décès n’a eu lieu. Le Tennessee a emboîté le pas en mai 2024. Les 48 autres États américains ont abandonné cette approche, pour la plupart depuis longtemps, et la Cour suprême l’a déclarée inconstitutionnelle en 2008.

Pour l’ensemble des États-Unis, depuis 1989 à mars 2024, le « National Exonation Registry » [9] a enregistré 322 cas dans lesquels une personne a été condamnée à tort pour avoir abusé sexuellement d’un enfant et a été innocentée des années plus tard sur base de nouvelles preuves prouvant son innocence. Si dans tous les États américains la peine de mort était appliquée, comme c’est actuellement le cas en Floride et au Tennessee, un certain nombre de ces personnes faussement accusées seraient déjà dans une tombe. Enterrées à jamais par l’État pour des crimes qu’ils n’ont pas commis.

Ci-dessous une liste des innocentations [10] au cours des 25 dernières années, en Floride et au Tennessee pour abus sexuels sur enfants, avant que ces États n’introduisent la peine de mort pour ce genre de cas :

Selon la même source, voici les facteurs qui ont conduit à des condamnations injustifiées, dans les 322 cas d’abus sexuels sur des enfants aux États-Unis (la plupart des cas comportent de multiples facteurs) :


[9] https://www.law.umich.edu/special/exoneration/Pages/Basic-Patterns.aspx

[10] Source: National Exoneration Registry, mars 2024.

Ci-dessous, quelques exemples basés sur le Registre national des innocentations, d’erreurs judiciaires graves ayant abouti à des innocentations liées à des abus sexuels sur des enfants en Floride avant l’adoption de la nouvelle loi rendant ce type d’affaires passible de la peine de mort.

Donald Barnes [11]

En 2009, la nièce âgée de 16 ans, a accusé Donald Barnes, 37 ans, de l’avoir agressée sexuellement à Sarasota, en Floride, depuis l’âge de six ans jusqu’à l’âge de 12 ans. Barnes a été reconnu coupable d’abus sexuel sur une victime de moins de 12 ans et condamné à la prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle. En 2013, la nièce de Barnes a déclaré aux procureurs que les abus n’avaient pas eu lieu et qu’elle avait menti. Lors de son témoignage, on a demandé à la nièce comment elle avait trouvé les détails des prétendues pénétrations sexuelles. Elle a déclaré qu’elle avait regardé de la pornographie sur un ordinateur et que lorsque les enquêteurs de l’État lui ont demandé de fournir plus de détails, elle a utilisé les détails des vidéos qu’elle avait vues. Les membres de la famille ont tous convenu qu’ils n’avaient jamais été témoins de comportement inapproprié entre Barnes et sa nièce. Plusieurs membres de la famille ont déclaré dans leurs dépositions que la nièce avait tendance à rechercher l’attention et à inventer des histoires. En 2014, Barnes a été innocenté et libéré après avoir purgé trois ans de prison, mais avec la loi actuelle de Floride, il aurait pu être condamné à mort.

Scotty Bartek [12]

En février 1991, Scotty Bartek, 24 ans, a été accusé de violences sexuelles dans le comté de Marion, en Floride, après que sa fille de 5 ans, G.B. a déclaré qu’il l’avait agressée sexuellement. Bartek qui a nié les accusations, a été condamné à la prison à vie. En 2008, G.B., alors âgé de 23 ans et membre de l’US Navy, a déclaré sous serment : « Scott Bartek ne m’a pas agressé, maltraité ou touché d’une manière qui soit de nature sexuelle… J’ai été entraîné par ma mère à faire ces affirmations parce que ma mère ne s’entendait pas avec (Bartek). En 2009, la mère de G.B. a écrit une lettre disant que la jeune fille n’avait jamais été abusée sexuellement, que Bartek était innocent et qu’à un moment donné, elle pensait qu’elle risquait de perdre la garde. Elle a également déclaré que sa fille était manipulatrice et confuse. En décembre 2013, Bartek a été libéré et deux mois plus tard, le parquet a rejeté les accusations. Bartek pourrait être exécuté par l’État en applicant la loi actuelle de Floride.

Andrew Taylor [13]

En mars 1990, la police de Miami, en Floride, a arrêté Andrew Taylor, 25 ans, accusé d’avoir violé la fille de sa petite amie, âgée de 8 ans. Au procès, la jeune fille a déclaré que Taylor l’avait violée une fois chez elle et une fois chez lui. La mère de la jeune fille, qui était la petite amie de Taylor, a témoigné qu’en mars 1990, elle est rentrée à la maison et croyait avoir « senti une odeur sexuelle » dans l’air de la chambre de la jeune fille. Un médecin légiste a déclaré que la jeune fille présentait six déchirures internes cicatrisées, ce qui correspond à plus d’une agression sexuelle. En mars 1991, un jury a reconnu Taylor coupable d’agression sexuelle sur un enfant et l’a condamné à la prison à vie. En 2014, la jeune fille, alors âgée de 32 ans, a avoué au fils de Taylor qu’elle avait menti. Elle a rencontré un enquêteur et a signé une déclaration sous serment affirmant que sa mère était une toxicomane qui rentrait souvent à la maison ivre et l’interrogeait pour savoir si Taylor l’avait touchée de manière inappropriée. « Finalement, après avoir été abondamment battue, j’ai dit à ma mère qu’Andrew m’avait touché pour qu’elle arrête de me battre », a déclaré la femme dans le communiqué. Elle a déclaré qu’elle avait rejeté les propositions d’un enquêteur pour Taylor au cours des années précédentes, mais qu’en fin de compte J’ai décidé de « me lever et de faire ce qui est juste… J’avais tellement peur de ma mère que je pensais que si jamais je disais la vérité, elle me ferait des choses terribles ».


[11] https://www.law.umich.edu/special/exoneration/Pages/casedetail.aspx?caseid=4501

[12] https://www.law.umich.edu/special/exoneration/Pages/casedetail.aspx?caseid=4975

[13] Andrew Taylor – National Registry of Exonerations (umich.edu)

Donald Barnes, Scotty Bartek et Andrew Taylor ont été innocentés parce que la fausse allégation d’enfant a été rétractée des années plus tard, une chance dont n’ont pas profité tous ceux qui ont été faussement accusés. Ce que ces cas ont en commun, c’est que leur innocentatation a été possible parce qu’ils ont été condamnés à la prison à vie. S’ils avaient été condamnés à mort, ils n’auraient peut-être pas survécu assez longtemps pour que leur innocence soit prouvée.

Les histoires réelles ci-dessus aident à comprendre la décision historique de la Cour suprême des États-Unis de 2008 [14] selon laquelle « une condamnation à mort pour quelqu’un qui a violé mais n’a pas tué un enfant, et qui n’avait pas l’intention d’aider une autre personne à tuer l’enfant, est inconstitutionnelle en vertu des huitième et quatorzième amendements». La Cour a également ajouté : « Il existe, en outre, de graves préoccupations systémiques liées aux poursuites pour crime de viol d’enfant qui sont pertinentes pour la constitutionnalité d’en faire une infraction passible de la peine de mort. Le problème des témoignages peu fiables d’enfants, induits, voire imaginaires, signifie qu’il existe un « risque particulier d’exécution injustifiée  dans certaines affaires de viol d’enfants».

Dans le même arrêt, la Cour a également considéré que la peine de mort pour le viol d’un enfant était contreproductive : « en rendant la peine pour le viol d’enfant et le meurtre équivalente, un État qui punit le viol d’enfant par la mort peut supprimer une forte incitation pour le violeur à ne pas tuer l’enfant victime… la peine, à certains égards, accorde moins de protection, pas plus, à la victime, qui est souvent le seul témoin du crime. Et que « il n’est pas du tout évident que la blessure de l’enfant victime d’un viol soit atténuée lorsque la loi autorise la mort de l’auteur du viol ».

Un autre argument développé par la Cour suprême est la preuve d’un consensus national concernant la peine de mort pour les violeurs d’enfants, qui, dans l’ensemble, s’y oppose. En effet, la peine de mort pour abus sexuels sur des enfants a été progressivement abandonnée aux États-Unis. Dans le pays, la dernière personne exécutée pour le viol d’un enfant était Ronald Wolfe, il y a 60 ans, en 1964. Aujourd’hui, outre la Floride et le Tennessee, aucun des 48 autres États américains ne dispose d’une telle législation.

En 2008, l’Association nationale des travailleurs sociaux, et d’autres associations professionnelles similaires ont envoyé un mémoire [15] de 36 pages à la Cour Suprême [16], sur la peine de mort pour abus sexuels sur des enfants. Ces associations ont clairement indiqué que l’imposition de la peine de mort pour viol d’enfant porte en fait préjudice aux enfants mêmes qu’elle est censée aider et ont expliqué les trois conséquences négatives graves du recours à la peine de mort à cette fin :

1. Avec la peine de mort, moins de victimes sont identifiées et moins d’agresseurs sont arrêtés

L’exécution des violeurs d’enfants aggrave le problème de la sous-déclaration qui fait déjà obstacle aux efforts de lutte contre les infractions sexuelles sur les enfants. Une estimation relativement prudente serait que 500 000 enfants sont victimes d’abus sexuels en Amérique chaque année, mais le nombre annuel de cas signalés varie d’environ 83 000 à 217 000 enfants. Une enquête du Washington Post publiée en juin 2024 a révélé que même des policiers (au moins 1 800 entre 2005 et 2022) aux États-Unis ont abusé sexuellement d’enfants, et que les responsables à tous les niveaux du système de justice pénale ont échoué à protéger les enfants, à punir les agresseurs et à prévenir d’autres crimes [17]. Cependant, l’écrasante majorité des abus sexuels sont commis par des membres de la famille ou des amis proches de la famille. Ces relations conduisent de nombreuses victimes – ainsi que les membres de la famille qui sont témoins ou soupçonnent les abus – à garder le silence plutôt que de signaler le crime. Par exemple, les victimes et d’autres membres de la famille peuvent craindre les conséquences de la poursuite et de l’incarcération de l’agresseur. La peine de mort aggrave considérablement ce problème. En amplifiant les effets possibles d’un signalement de viol d’enfant, moins de victimes sont identifiées et reçoivent un traitement – ​​et moins d’agresseurs sont empêchés de continuer à maltraiter leurs victimes et de victimiser encore plus d’enfants. L’incapacité croissante du système à identifier les victimes entraîne toute une série de préjudices. Certains préjudices seront immédiats, sous la forme d’abus continus, tandis que d’autres mettront des années à se manifester. Au-delà de l’augmentation du nombre de victimes par délinquant, de nombreuses victimes d’abus peuvent être confrontées à une multitude de problèmes de santé mentale et de toxicomanie à long terme.

2. La peine de mort encourage les agresseurs à tuer leurs victimes

Les agresseurs ne s’exposent pas à une sanction plus lourde pour avoir violé et tué leurs victimes que pour simplement les avoir violées ; il est donc plus probable qu’un agresseur choisisse d’éliminer la victime, qui est dans de nombreux cas le seul témoin du crime.

3. La peine de mort amplifie le traumatisme que subissent les enfants victimes dans le cadre du processus de justice pénale.

Même les procès ordinaires sont extrêmement traumatisants pour les enfants victimes. Les procès contre la peine de mort, avec leur publicité considérablement accrue, leurs audiences élargies et la multiplication des procédures préalables au procès et après la condamnation, intensifieront ce traumatisme en augmentant la portée et la durée de la participation de l’enfant victime au système de justice pénale. Non seulement on sait que l’exposition accrue aux procès entrave le processus de guérison des enfants victimes, mais l’imposition d’une peine de mort ajoutera à la culpabilité que ressentent parfois les enfants victimes et peut exclure la possibilité d’une future rencontre thérapeutique entre la victime et son agresseur.

À Missuri, lors d’un débat sur une tentative d’introduire une loi similaire, Mei Hall, une résidente de Colombie qui s’est identifiée comme victime d’abus sexuels, a déclaré [18]:

« Je ne souhaite pas la mort de mon agresseur, je souhaite qu’il soit séquestré et incapable de faire du mal à plus de gens, c’est sûr. Mais je ne pense pas que ce soit le rôle de l’État de tuer des gens en général et je ne pense pas que ce soit le rôle de l’État de rendre plus difficile la tâche des enfants victimes qui souhaitent dénoncer. »

La déclaration de Mei Hall reflète l’opinion de la grande majorité des Américains. Un sondage Gallup de 2019 (la dernière fois que cette question a été posée) a révélé que 60 % des Américains étaient favorables à l’emprisonnement à vie pour une personne reconnue coupable de meurtre, contre seulement 36 % qui préféraient la peine de mort.


[14] https://deathpenaltyinfo.org/news/excerpts-from-the-supreme-courts-ruling-barring-the-death-penalty-for-non-homicide-crimes-against-individuals

[15] Document contenant de l’information et des conseils

[16] https://www.socialworkers.org/assets/secured/documents/ldf/briefDocuments/Kennedy%20v.%20Louisiana.pdf

[17] https://www.washingtonpost.com/investigations/interactive/2024/police-officers-child-sexual-abuse-in-america/

[18] https://missouriindependent.com/2024/03/11/missouri-bill-would-expand-death-penalty-to-certain-sex-crimesagainst-children/

Conclusion

Une punition irréversible n’a aucun sens quand on sait que tout système judiciaire est défaillant. Et pas une ou deux fois, mais plusieurs fois. Et il existe des peines alternatives. La prison à vie est également une punition sévère, mais elle n’est pas irréversible. Il est barbare de tuer des êtres humains innocents ou même simplement de les envoyer dans le couloir de la mort.

C’est très noble de défendre un enfant innocent. Mais il est tout aussi noble de défendre un adulte innocent. Aux États-Unis, des centaines d’adultes innocents ont été faussement accusés d’abus sexuels sur des enfants et emprisonnés, pour découvrir des années, voire des décennies plus tard, qu’ils avaient été condamnés à tort. Si la peine de mort avait été prononcée, nombre d’entre eux auraient été exécutés avant qu’on découvre qu’ils n’avaient abusé d’aucun enfant. Beaucoup de ces fausses accusations ont été portées par la victime présumée (un enfant), d’autres par de faux témoignages, par une mauvaise conduite des agents publiques (procureurs, policiers et autres fonctionnaires).

L’imposition de la peine de mort pour viol d’enfant porte préjudice aux enfants mêmes qu’elle est censée protéger, encourage le meurtre de la victime, l’enfant, et augmente le nombre de cas non signalés, comme le soulignent les associations professionnelles dans ce domaine.

La jurisprudence américaine, notamment une décision de la Cour suprême de 2008, considère la peine de mort comme inconstitutionnelle en cas de viol, mettant en garde contre les risques catastrophiques qu’elle présente.

Au lieu de dépenser des millions de dollars dans un système de peine de mort trop coûteux, les ressources financières peuvent être mieux dépensées dans la prévention, la protection des enfants contre les abus et la garantie que les survivants ont accès à un traitement de santé mentale et à un soutien approprié après les infractions.

La compréhension du caractère inhumain de la peine de mort entraîne son déclin aux États-Unis et dans le monde. L’année dernière, la Floride était l’un des cinq États américains à exécuter des condamnés à mort, avec le Texas, le Missouri, l’Oklahoma et l’Alabama. Et ces dernières années, dans le monde, un nombre toujours en baisse d’environ 20 des 193 États membres de l’ONU procèdent encore à des exécutions.

Adriano Martins

Note : Cet article a été publié aux États-Unis : https://deathpenaltyinfo.org/facts-and-research/crimes-punishable-by-death/death-penalty-for-child-sexual-abuse-that-does-not-result-in-death