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Fatia Maulidiyanti : « les défenseurs des droits humains font face à un manque de reconnaissance »

Fatia Maulidiyanti et Haris Azhar, deux éminents défenseur·es des droits humains en Indonésie, sont accusé·es de diffamation pour avoir discuté d'un rapport sur les opérations minières en Papouasie sur la chaîne YouTube de Haris. Des organisations de défense des droits humains ont appellé le gouvernement indonésien à mettre fin à leur persécution et à protéger tous·tes les militant·es des droits humains du pays, victimes de harcèlement judiciaire. Cette criminalisation qui va à l'encontre des engagements internationaux de l'Indonésie en matière de droits humains est dénoncée et décriée. Fatia Maulidiyanti a accordé un entretien à ECPM pour discuter des perspectives du combat abolitionniste suite aux élections générales dans le pays et alerter sur la réduction de l’espace civique.
Fatia, Haris et leur équipe de défense

En tant que militante pour les droits humains en Indonésie, vous avez réussi à vous défendre contre des accusations de diffamation portées par le gouvernement. Ces accusations découlaient de commentaires formulés lors d’une discussion en ligne, qui a depuis été supprimée, concernant les conclusions d’un rapport que vous avez co-écrit avec d’autres organisations de la société civile (OSC) sur les activités minières en Papouasie et l’implication présumée d’officiels indonésiens. Malgré votre victoire, le gouvernement a interjeté appel. Quelles sont vos prochaines étapes et comment pouvons-nous vous apporter notre soutien ?

Les défenseurs des droits de l’homme ont connu une période difficile au cours des neuf dernières années, depuis l’élection de Joko Widodo à la présidence. Il était attendu comme un vecteur de changement et un nouvel espoir pour l’intégration des droits humains dans l’agenda indonésien. Lors de ses campagnes en 2014 et 2019, Jokowi a présenté une liste exhaustive d’actions et d’initiatives en matière de droits humains. Cependant, ce récit a changé lorsqu’il a nommé, dans son administration, des individus prétendument impliqués dans des violations des droits humains. Cette décision perpétue un régime que l’on peut qualifier de « légalisme autocratique », caractérisé par des réglementations discriminatoires et restrictives, notamment le Code pénal et la Loi sur l’information électronique et les transactions (EIT Law).

Défendre un certain nombre de questions relatives aux droits humains reste un vrai défi si ces réglementations ne sont pas révisées conformément aux recommandations que nous avons adressées au gouvernement.

Le soutien de la communauté internationale à la campagne soutenant la liberté d’expression et la protection des défenseur·es des droits humains en Indonésie est indispensable, an particulier après ce processus électoral, étant donné que certaines criminalisations étant encore en cours. La soumission d’amicus curiae, la visibilité internationale de la question de la liberté d’expression et l’intervention de la communauté internationale auprès du gouvernement indonésien sont nécessaires. La soumission d’amicus curiae des parties prenantes internationales, comme celui présenté par ECPM dans mon cas, doit pouvoir être maintenu pour soutenir la défense des militant·es dans de telles affaires.

Avec les élections générales, quelles sont les perspectives et les enjeux pour la défense des droits humains ? Et pour les militant·es abolitionnistes, plus particulièrement ?

Étant donné la probabilité qu’un candidat associé au népotisme et aux violations de l’éthique prévale dans le paysage électoral actuel, les perspectives de mise en œuvre des agendas des droits humains en Indonésie semblent de plus en plus difficiles. Les documents relatifs à leur vision et à leur mission indiquent que les questions relatives aux droits humains ne sont pas prioritaires. Prabowo Subianto a été l’auteur présumé de graves violations des droits humains par le passé, et comme il n’existe pas de mécanismes de contrôle, l’agenda des droits humains recule et nous revenons à l’époque du régime du Nouvel Ordre. Les violations de l’éthique pendant le processus électoral et le népotisme ne sont pas traduits en justice. L’élection se poursuit et ce sont eux qui obtiennent le plus de voix, car Jokowi a une influence directe ou indirecte sur le contrôle de la majorité silencieuse et sur le processus de victoire de cette élection, puisqu’il soutient son fils en tant que candidat à la vice-présidence.

Malgré la position antérieure de Prabowo Subianto contre la peine de mort, l’adoption du nouveau Code pénal diminue la probabilité d’abolition ou de moratoire. Les organisations de la société civile éprouvent des difficultés à se faire reconnaître et font l’objet de menaces, tandis que les processus d’élaboration des politiques restent fermés. De plus, les inquiétudes grandissent alors qu’il est prévu d’augmenter le budget de la militarisation, suscitant de sérieuses appréhensions pour les OSC de défenses des droits humains en Indonésie. La plupart des citoyen·nes indonésien·nes soutiennent encore la peine de mort, et même s’il n’y a pas d’exécutions, il est peu probable que les condamnations à mort cessent d’être prononcées. De plus, les défenseur·es des droits humains et de l’abolition font face à un manque de reconnaissance et sont souvent stigmatisé·es comme des agent·es étrangèr·es ou des ennemi·es de l’État.

Croyez-vous que la liberté d’expression en Indonésie est menacée, notamment en ce qui concerne l’abolition de la peine de mort?

Elle est toujours menacée en raison de l’héritage du régime du Nouvel Ordre qui stigmatise les défenseur·es des droits humains et les membres des associations à but non lucratif. Cela peut affecter directement ou indirectement la campagne sur les questions relatives à la peine de mort, qui est l’un des sujets relevant des droits humains. Si un moratoire est mis en œuvre par le gouvernement, les efforts déployés par la société civile pour parvenir à ce résultat risquent de ne pas être reconnus par les autorités. Notre travail en tant que défenseurs des droits de l’homme ne serait pas reconnu, ce qui pourrait potentiellement indiquer une restriction de l’espace civique.

Infographie – la peine de mort en Indonésie (2022)